La traversée de mai 2023 [7]

Jour 3, 17 mai 2023 (première partie)


Liens : Vidéo (en préparation) / Compte rendu en japonais / Fichier gpx en français / Google Map / Garmin Connect / Ride With GPS


Longueur du parcours : 63 km. Niveau de difficulté : moyen (quelques montées l’avant-midi)


■ Hôtel Kirakuya

▸ Tunnel Nakayama (中山トンネル) : 8 km

▸ Gare Jōko ( 上戸駅 (じょうこえき) ) : 13 km

▸ Plage 舘浜 (Tate-hama) : 23 km

▸ Parc Funatsu ( 舟津公園 (ふなつこうえん) ) : 25 km

▸ Plage 秋山浜 (Akiyama-hama) : 32 km

▸ Sommet : 36 km

▸ Sommet : 39 km

▸ Plage 崎川浜 (Sakka-hama) : 43 km

▸ Sommet : 45 km

▸ Auto-camp Minami (オートキャンプ南) : 50 km

▸ La tombe des 22 guerriers du domaine d’Aizu ( 会津藩二十二士の墓 (あいずはんにじゅうにしのはか) ) : 54 km

■ Aizuwakamatsu (会津若松) : 66 km


Pour mon compagnon bipède et moi, cette troisième journée de balade était la dernière, seuls trois vélos et autant de bipèdes (Sider, Salīna et Reina) se tapant tout le trajet jusqu’à Niigata et la Mer du Japon. En après-midi, deux autres vélos, ceux de Shirosukī et Benedetta se joindraient au trio principal pour prendre notre relève.

À l’auberge Kirakuya, mon bipède a profité des bains à satiété : une première trempette à l’arrivée, une autre avant d’aller dormir et une dernière avant le lever du soleil.

Le bain extérieur, au niveau du rez-de-chaussée de l’auberge. On y pénètre en passant par les deux bains principaux intérieurs, dont le plus petit était alimenté par une source thermale d’à peine 36 °C, utilisée depuis l’époque Edo pour ses vertus curatives.


Vers la gare Jōko

Après leur bain du matin et leur déjeuner copieux, nous (les vélos) retrouvons nos compagnons devant l’auberge, prêts à partir pour Aizuwakamatsu en franchissant le col de Nakayama ( 中山峠 (なかやまとうげ) ) et en contournant le grand lac Inawashiro ( 猪苗代湖 (いなわしろこ) ) par sa rive sud.

Comme le vélo électrique de Reina fonctionne mal depuis deux jours, elle décide de prendre d’abord le train jusqu’à la gare Jōko, qui se trouve près du lac, car nous aurons le vent de face et le parcours, de l’auberge au lac, suit une pente ascendante sur les premiers huit kilomètres.

Cette gare Jōko est également notre point de rendez-vous avec Benedetta (ベネデッタ) et son vélo Brompton M3L, tous deux membres de Geo Pottering depuis juin 2013.

De l’auberge, nous longeons d’abord le lit de la rivière Gohyakugawa (五百川) jusqu’à la route nationale 49. De là, neuf kilomètres nous séparent de la gare où nous attendrons Reina et Benedetta.

Il était initialement prévu de franchir le col de Nakayama, mais l’ancienne route qui passe par ledit col étant fermée, nous restons sur la 49 et, au lieu du col, passons par le nouveau tunnel du même nom.

Salīna à la sortie du tunnel, où elle a emprunté le trottoir. Mon compagnon bipède, toujours aussi distrait, n’a pas remarqué le trottoir et a donc traversé le tunnel avec les voitures. Pire encore, il est ensuite allé à la sortie du tunnel pour prendre une photo en me laissant derrière lui… et le vent m’a fait basculer sur l’accotement avec tous nos bagages. 😠

À partir du tunnel, la 49 est relativement plane, au grand soulagement des cyclistes.

Un peu avant d’arriver à la gare, nous quittons la 49 pour rouler sur une route rurale déserte, avec le soleil dans le dos, ce qui confirme que nous roulons bien vers l’ouest, inutile de vérifier sur nos bidules GPS.

En bordure, observe Sider, de vieilles pierres bouddhiques portent des inscriptions comme 古屋敷 (Furuyashiki) et 宮前 (Miyamae) , qui à elles seules suffisent pour évoquer l’ancienneté des lieux.

En arrivant près de la voie ferrée de la ligne Ban’etsusai (磐越西線), nous faisons une pause pour regarder passer le train à bord duquel se trouvent Reina et Benedetta.

Le train arrive au bout de quelques minutes, nous envoyons joyeusement la main, mais personne, derrière les fenêtres, ne nous renvoie nos salutations…

Un peu déçus, nous roulons jusqu’à la gare… où il n’y a personne !

Ont-elles oublié de descendre du train ? L’ont-elles raté ?

Salīna et Sider à la petite gare déserte de Jōko…

La réponse nous parvient bientôt via le téléphone. Les deux dames, nous apprennent-elles, ont décidé de s’épargner le trajet contre le vent et par les collines du sud du lac Inawashiro, et de continuer plutôt en train jusqu’à la gare Inawashiro, du côté nord du lac, d’où elles rouleront avec Shirosukī et son BD-1 Disc-R de r&m sur une version abrégée du parcours.


Le mont Bandai

Les six membres de cette troisième journée se trouvent ainsi divisés en deux groupes : le groupe S (standard), composé de Salīna, Sider et Kotetchan, et le groupe P (Pottering), composé de Reina, de Benedetta et de Shirosukī et son BD-1 Disc-R de r&m.

Le groupe S, sans plus tarder, s’éloigne de la gare du rendez-vous raté pour aller au lac Inawashiro.

Nous atteignons bientôt la toute petite plage Jōko ( 上戸浜 (じょうこはま) ). Derrière nous, au loin, le pic le plus élevé du mont Bandai (1 816 m).

La dernière éruption de ce volcan, survenue en 1888, aurait provoqué la mort de 477 personnes. C’est ce mont à deux sommets que, le jour précédent, nous avons confondu avec les monts Adatara (安達太良山) et Oshō (和尚山).

Éruption du mont Bandai en 1888. Source : INOUE Tankei (井上探景), Public domain, via Wikimedia Commons


Von Siebold

De cette extrémité orientale du lac, nous roulons ensuite vers le sud pour le contourner en sens horaire.

Cela nous mène d’abord à la tour de prise d’eau de la plage Hamaji ( 浜路浜取水塔 (はまじはましゅすいとう) ).

Une inscription y interdit de pratiquer ce qu’on appelle au Japon la « pêche hollandaise » ( オランダ釣り (おらんだつり) ). Il s’agit d’une forme de pêche à la ligne avec plusieurs hameçons, comme illustré ici. La nourriture, insérée dans un petit contenant alourdi par un fond en plomb attire les poissons à contre-courant vers les hameçons.

Les avis, bien que partagés sur l’origine du terme, renvoient souvent à un médecin et naturaliste bavarois, Philipp Franz Balthasar von Siebold (1796-1866), beaucoup plus connu au Japon qu’en Occident. Ce baron, très bien connu de monsieur et madame tout-le-monde au Japon, y a habité de 1823 à 1829, au comptoir commercial de Dejima (出島), île artificielle en forme d’éventail, pour la Compagnie hollandaise des Indes orientales. En raison de son accent, les interprètes japonais de l’île ont d’abord soupçonné Siebold de ne pas être Hollandais, soupçon qu’il est parvenu à balayer en invoquant, semble-t-il, une quelconque origine montagnarde, assertion invérifiable à l’époque mais qui fait sourire aujourd’hui, venant de la bouche d’un homme qui se prétendait originaire d’une région montagneuse des « Pays-Bas ».

Timbre japonais commémorant le 200e anniversaire de la naissance de Siebold

J’ignore si notre homme pratiquait la « pêche hollandaise », mais chose sûre il a joué un rôle non négligeable dans les relations entre l’Occident et le Japon, et tout spécialement pour le développement des « études hollandaises » ( 蘭学 (らんがく) ) et l’importation de la médecine occidentale au Japon. En contrepartie, Siebold, qui enseignait la médecine et l’histoire naturelle, a collecté une masse impressionnante de documents, d’objets et de spécimens de la faune et de la flore via ses interprètes, ses étudiants et… ses patients, qui le payaient en nature pour ses soins médicaux, sous forme d’objets divers qui ont contribué à la formation de son énorme collection.

Bien que très apprécié du shogunat et de la population, il fit l’erreur d’exporter vers la Hollande certains documents délicats, dont notamment des cartes géographiques qui furent retrouvées dans la cargaison d’un navire échoué, ce qui lui valut d’être finalement expulsé, en 1829, par le gouvernement militaire soucieux d’assurer sa sécurité face à l’empire Russe. Siebold laissait derrière lui sa femme japonaise et leur fille qui, formée ensuite à la médecine occidentale par les élèves de son père, devint médecin-gynécologue et connu une brillante carrière au Japon.

Vous êtes toujours là ? J’ajoute qu’il y a tout un tas d’autres trucs intéressants sur la vie et l’œuvre de ce Siebold (dont ceci)… vous pouvez consulter Wikipédia pour vous en convaincre, mais sachez surtout (ce « surtout » devrait être tout au plus un « toutefois », me murmure à l’instant mon compagnon bipède) qu’il figure même dans « Les contes du lundi » d’Alphonse Daudet.

Dans ce récit imaginaire, Daudet a ajouté un « t » à Siebold pour en faire un Sieboldt. Je vous en donne un extrait savoureux ici, pour clore ce billet.

Au printemps de 1866, M. de Sieboldt, colonel bavarois au service de la Hollande, bien connu dans le monde scientifique par ses beaux ouvrages sur la flore japonaise, vint à Paris soumettre à l’empereur un vaste projet d’association internationale pour l’exploitation de ce merveilleux Nipon-Jepen-Japon (Empire au Lever du Soleil) qu’il avait habité pendant plus de trente ans. En attendant d’avoir une audience aux Tuileries, l’illustre voyageur — resté très Bavarois malgré son séjour au Japon — passait ses soirées dans une petite brasserie du faubourg Poissonnière, en compagnie d’une jeune demoiselle de Munich qui voyageait avec lui et qu’il présentait comme sa nièce. C’est là que je le rencontrai. (…) Le bonhomme, voyant le goût que je prenais à l’entendre parler du Japon, m’avait demandé de revoir son mémoire, et je m’étais empressé d’accepter autant par amitié pour ce vieux Sinbad que pour m’enfoncer plus avant dans l’étude du beau pays dont il m’avait communiqué l’amour. Ce travail de révision ne se fit pas sans peine. Tout le mémoire était écrit dans le français bizarre que parlait M. de Sieboldt : « Si j’aurais des actionnaires… si je réunirais des fonds… » et ces renversements de prononciation qui lui faisaient dire régulièrement « les grandes boîtes de l’Asie », pour « les grands poètes de l’Asie », et « le Chabon » pour « le Japon »… Joignez à cela des phrases de cinquante lignes, sans un point, sans une virgule, rien pour respirer, et cependant si bien classées dans la cervelle de l’auteur, qu’en ôter un seul mot lui paraissait impossible, et que s’il m’arrivait d’enlever une ligne d’un côté, il la transportait bien vite un peu plus loin… C’est égal ! ce diable d’homme était si intéressant avec son Chabon, que j’oubliais l’ennui du travail ; et lorsque la lettre d’audience arriva, le mémoire tenait à peu près sur ses pieds. Pauvre vieux Sieboldt ! Je le vois encore s’en allant aux Tuileries, toutes ses croix sur la poitrine, dans ce bel habit de colonel rouge et or qu’il ne tirait de sa malle qu’aux grandes occasions. Quoiqu’il fît : « brum ! brum ! » tout le temps en redressant sa longue taille, au tremblement de son bras sur le mien, surtout à la pâleur insolite de son nez, un bon gros nez de savantasse, cramoisi par l’étude et la bière de Munich, je sentais combien il était ému… Le soir, quand je le revis, il triomphait : Napoléon III l’avait reçu entre deux portes, écouté pendant cinq minutes et congédié avec sa phrase favorite « Je verrai… je réfléchirai. » Là-dessus, le naïf Japonais parlait déjà de louer le premier étage du Grand-Hôtel, d’écrire aux journaux, de lancer des prospectus. J’eus beaucoup de mal à lui faire comprendre que Sa Majesté serait peut-être longue à réfléchir, et qu’il ferait mieux, en attendant, de retourner à Munich, où la Chambre était justement en train de voter des fonds pour l’achat de sa grande collection. Mes observations finirent par le convaincre, et il partit en me promettant de m’envoyer, pour la peine que j’avais prise au fameux mémoire, une tragédie japonaise du xvie siècle, intitulée l’Empereur aveugle, précieux chef-d’œuvre absolument inconnu en Europe et qu’il avait traduit exprès pour son ami Meyerbeer. (L’empereur aveugle ou Le voyage en Bavière — À la recherche d’une tragédie japonaise)


À bientôt, donc, pour la suite de cette balade à vélo pliant au « Chabon » ! 😀


👉 Suite : La traversée de mai 2023 [8]


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