Sur les traces de Bashō (4) : La route d’Echigo
Oyashirazu (親不知)
Avec ce quatrième billet, nous entrons dans le Hokuriku, où nous roulons virtuellement avec les poètes Bashō et Sora sur la route d’Echigo (越後). Et comme toujours, nous présentons ici une version abrégée et adaptée du tableau synoptique japonais de Geo Pottering. Ce résumé correspond au tableau japonais de la quatrième section.
Descriptif de la quatrième section (La route d’Echigo, 324 km)
Nezugaseki
0 km (1190 km), altitude 5 m
En franchissant Nezugaseki (鼠ケ関), Bashō et Sora arrivent à l’extrémité nord de la route du Hokuriku (北陸), là où commence Echigo (越後). Bashō et son disciple ont parcouru les quelque 300 km de la route d’Echigo en 16 jours, au cours desquels Bashō a peu écrit, en raison de problèmes de santé, précise-t-il dans son carnet de voyage (problèmes que Sora n’évoque toutefois pas dans ses propres notes quotidiennes). Il a toutefois composé plusieurs haïkus devenus célèbres par la suite, et, avec Sora, visité des temples et sanctuaires. Suivons-les à vélo, sur les traces virtuelles de Geo Pottering…
Nakamura
20 km (1210 km), altitude 115 m
Ayant emprunté chacun son propre chemin, Bashō et Sora franchissent des barrières différentes pour atteindre leur lieu de rendez-vous : le relais de Nakamura ( 中村宿 ) (l’actuel quartier Kitanaka de la ville de Murakami : 村上市北中). Ce relais, plaque tournante du transport, faisait la jonction entre la route d’Ushū ( 羽州街道 ) et celle d’Ushūhama ( 羽州浜街道 ). S’y trouve aujourd’hui un parc dédié à Bashō (le parc Kitanaka Bashō, 北中芭蕉公園).
Murakami
50 km (1240 km), altitude 25 m
Arrivés au bourg du château de Murakami, nos deux voyageurs visitent le château, construit à l’époque Sengoku ( 戦国時代 ) par le clan Honjōshi (本庄氏) et baptisé château de Murakami en 1598, du nom du seigneur des lieux, MURAKAMI Yorikatsu (村上頼勝). Ce château a été détruit par le feu lors de la bataille de Hokuhetsu de la guerre de Boshin, en 1868. Les ruines du château font aujourd’hui partie du patrimoine national culturel important (国指定) du Japon.
Bashō et Sora séjournent au hatago (旅籠, auberge à l’époque Edo) Kyūsaemon (久佐衛門). Détruite par les flammes à l’ère Meiji, elle a été aussitôt reconstruite sous le nom d’Izutsuya (井筒屋). Depuis 2017, on y sert du saumon apprêté à la manière traditionnelle de Murakami.
Plage de Senami
56 km (1246 km), altitude 20 m
Après avoir passé deux nuits au bourg du château de Murakami et visité le temple Kōeiji (光榮寺) et le tombeau d’un certain poète Ittō (一燈), Bashō et Sora vont contempler la plage de Senami ( 瀬波海岸 ).
Temple Oppō-ji
70 km (1260 km), altitude 10 m
Poursuivant leur périple, Bashō et Sora visitent le Taisō-in (泰叟院), aujourd’hui devenu le Jōnen-ji (浄念寺), temple ancestral ( 菩提寺 ) du seigneur du fief de Murakami. Le bâtiment principal du temple, construit en 1818, a ceci de particulier que ses murs sont peints en blanc. Il est aujourd’hui inscrit au patrimoine culturel important du Japon.
Quittant Murakami, ils visitent ensuite l’Oppō-ji (乙宝寺), dans l’actuelle ville de Tainai (胎内市). Construit en 736 sur ordre de l’empereur Shōmu ( 聖武天皇 ), dans la forêt qui longe la plage, il aurait d’abord porté le nom de Kinotodera (乙寺). Le moine bouddhique indien Bodhisena y aurait mis la relique de l’œil gauche de Siddhartha Gautama, d’où le nom du temple, 乙寺, puisque la relique de l’œil droit se trouvait au temple 甲寺 en Chine. 👉 乙 fait ici écho à 甲, les lecteurs qui ont étudié le japonais comprendront. Disons simplement qu’ils font la paire (d’yeux), un peu comme dans les contrats japonais, où 乙 désigne une partie, et 甲, l’autre partie.👈 C’est parce que l’empereur Shirakawa (白河天皇) offrit ensuite une pagode d’or au temple, pour y mettre la relique, qu’il a été renommé Oppō-ji (乙宝寺).
Tsuiji
79 km (1269 km), altitude 10 m
De ce temple, Bashō et Sora poursuivent leur route vers le sud et s’arrêtent à Tsuiji (築地) pour la nuit. Le lendemain, ils se rendent au port de Niigata en bateau. Suivons-les, en empruntant la route jusqu’à Niigata…
Port de Niigata
115 km (1305 km), altitude 0 m
Ils arrivent au port en fin de journée. C’est aujourd’hui un port majeur de la Mer du Japon. À l’époque Edo, il prospérait déjà en tant que base de transport fluvial des rivières Aganogawa (阿賀野川) et Shinanogawa (信濃川), ainsi que comme escale des kitamaebune (北前船), ces navires marchands qui naviguaient sur la Mer du Japon entre Osaka et les provinces du nord. 👉 Pendant que les vélos exténués se reposent, leurs bipèdes peuvent aller visiter le musée et y contempler des bâtiments de l’époque. 👈
Sanctuaire Yahiko-jinja
152 km (1342 km), altitude 60 m
De Niigata, Bashō et son disciple se dirigent vers le village de Yahiko (弥彦村), où ils visitent le sanctuaire du même nom (彌彦神社). De ce sanctuaire, qui figure dans le Shoku Nihon Kōki (続日本後紀, Suite des Chroniques postérieures du Japon), on dit que sa fondation remonte à environ 2400 ans. Les bâtiments qui se trouvent en bas du bâtiment principal, détruits par le feu en 1912, ont été reconstruits selon les plans de l’architecte Itō Chūta.
Izumozaki
181 km (1371 km), altitude 10 m
Après avoir passé la nuit dans le monzen-machi (門前町, bourg à l’entrée d’un temple ou sanctuaire) de Yahiko, ils visitent d’abord le Saisōji (西生寺), temple très ancien fondé par Gyōki (行基) en 733. De là, ils descendent à Nozumi (野積), puis longent la côte de la Mer du Japon jusqu’à Izumozaki (出雲崎). Sur une distance de 4 km s’y alignent, des deux côtés du chemin, de nombreuses maisons de type tsumairi (妻入り). 👉 Comme on peut le voir sur cette vidéo filmée à Nozumi, la plupart des maisons sont alignées avec leurs toits comme ceci face au chemin : /\ /\ /\ /\ … Elles sont plus longues que larges, et c’est sur la face la plus courte, face au chemin, que se trouve la porte d’entrée. Le 妻 de 妻入り signifie ici extrémité, et 入り entrée. 👈 C’est là qu’est né le moine et poète Ryōkan, et les cyclistes peuvent aller jeter un coup d’œil au musée qui lui est dédié, pendant que les vélos contemplent la Mer du Japon (ou vice-versa). Nozumi a, elle aussi, sa statue dédiée au passage de Bashō, dans un jardin japonais qui porte le nom du célèbre poète ( 芭蕉園 ).
Hassaki
221 km (1411 km), altitude 10 m
En quittant Izumozaki, Bashō et Sora prévoient de passer ensuite la nuit à Kashiwazaki (柏崎). Ils ne s’y arrêtent toutefois pas, préférant poursuivre leur route et traverser le col de Komeyama ( 米山峠 ) pour se rendre à Hassaki (鉢崎), où ils dorment à l’auberge Tawaraya (たわら屋), tenue de générations en générations par le chef de village, un officiel appelé Shōya (庄屋) sous l’administration de l’époque Edo.
Naoetsu
246 km (1436 km), altitude 5 m
Le lendemain, ils arrivent à Naoetsu (直江津), qui portait le nom d’Imamachi (今町) à l’époque Edo. Ils devaient passer la nuit au Chōshinji (聴信寺), mais ne peuvent le faire, ce temple se trouvant en pleines cérémonies funéraires ce jour-là. Ils dorment donc dans une auberge du nom de Furukawaya (古川屋) et y tiennent une rencontre de poésie.
文月や 六日も常の 夜には似ず
Le lendemain, immobilisés par la pluie en ce jour de la fête de Tanabata, Bashō et Sora organisent une autre joute poétique…
荒海や 佐渡に横たふ 天河
→ Traductions de Jean Marc Chounavelle
Takada
256 km (1446 km), altitude 15 m
En quittant Naoetsu, Bashō et Sora se rendent au bourg de Takada, où ils rencontrent le médecin HOSOKAWA Shōan (細川春庵) et, vous l’aurez deviné, organisent une rencontre de poésie haïku. S’y trouvait un jardin d’herbes médicinales ( 薬園 ). Bashō lance la joute avec un haïku (qui ne figure pas dans son journal) où il évoque, peut-être, une sieste qu’il fit dans ce jardin avec quelques fleurs en guise d’oreiller.
薬蘭 に いづれの 花 を 草枕
Ils passent trois jours à Takada, attendant que la pluie cesse. Le sixième fils de TOKUGAWA Ieyasu, MATSUDAIRA Tadateru (松平忠輝), résidait alors au château de Takada. Les lieux sont aujourd’hui aménagés en jardin. La tour à trois étages ( 三重櫓 ) du château de Takada, détruite par les flammes à l’ère Meiji, a été reconstruite en 1993.
Gochikokubun-ji
263 km (1453 km), altitude 20 m
Bashō et Sora reviennent sur leur pas, en direction de Naoetsu, pour aller visiter le temple Gochikokubun-ji (五智国分寺) et le sanctaire Kota-jinja (居多神社). Le temple est un ancien kokubun-ji fondé à l’époque de Nara, dans les années 740. Il aurait été reconstruit à son emplacement actuel (Gochi, 五智) en 1562, par UESUGI Kenshin (上杉謙信). Le sanctuaire figurait pour sa part parmi les ichi-no-miya (一宮) du littoral de la Mer du Japon. Jouissant de la protection des gouverneurs de la province, on l’appelait, dit-on, l’ichi-no-miya d’Echigo.
Nō
290 km (1480 km), altitude 5 m
Bashō et Sora se rendent ensuite à Nō (能生). À l’extrémité est de ce hameau se trouve le sanctuaire Nōhakusan-jinja(能生白山神社), dont le joli bâtiment principal à toit de bardeaux remonte à 1515 et est inscrit au patrimoine culture important du Japon. On dit que la cloche de Shioji ( 汐路の鐘 ) qui s’y trouvait autrefois se mettait à sonner d’elle-même lorsque la marée était haute.
Ichiburi
324 km (1514 km), altitude 10 m
De là, nos deux poètes nomades poursuivent leur route vers l’ouest en longeant la Mer du Japon. Ils traversent la rivière Itoigawa (糸魚川), puis atteignent la partie la plus difficile de la route du Hokuriku, Oyashirazu Koshirazu (親不知子不知, « On y ignore parents et enfants » (et ne pense qu’à sauver sa propre peau), plage étroite où les vagues viennent percuter la falaise et les éboulis sur lesquelles il faut marcher.
À Ichiburi (市振), où ils passent la nuit, ils rencontrent deux jeunes filles qui, en pèlerinage vers le sanctuaire d’Ise ( 伊勢神宮 ), viennent d’être abandonnées par leur guide et, effrayées, souhaiteraient poursuivre leur route en marchant discrètement derrière Bashō et Sora. Ce sont deux prostituées, et Bashō refuse sèchement, en prétextant que lui et son disciple doivent s’arrêter ici et là en chemin. Par la suite, un léger remord lui inspire ce haïku.
Ichiburi est le dernier bourg-relais de la route du Hokuriku. La barrière d’un poste de contrôle s’y ouvrait sur la province d’Ecchū ( 越中国 ). C’est ici que se termine le quatrième tronçon de notre balade virtuelle en compagnie de Bashō et Sora.
Le mot du compagnon bipède
Si vous avez marché ou roulé jusqu’ici en suivant les instructions du premier billet de cette série de cinq, vous aurez parcouru plus de 1500 km… et sans doute perdu quelques kilos en chemin. Bon courage, de mon côté je perds certainement quelques grammes chaque fois que je résume un bout de ce long voyage virtuel. 😉
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