1993 : souvenir d’un périple à vélo


Pas de longue sortie à vélo avec Béni-le-rouge aujourd’hui ni demain, ni probablement pendant quelques semaines, sinon plus. Le pauvre s’est blessé en roulant sur la piste cyclable, mercredi dernier. Une partie de la jante s’est détachée, comme le montre la photo.

C’est probablement dû à la pression trop élevée des pneus Big Apple installés récemment à la place des pneus d’origine. Heureusement pour nous deux, la jante s’est soulevée dans le « bon sens », celui où la saillie ne faisait que passer sous le patin du frein. Si elle s’était soulevée dans l’autre sens, elle serait allée se planter dans le patin au lieu de passer simplement dessous en frottant, avec des conséquences désastreuses pour la monture et son cavalier.

De retour à la maison, j’ai vérifié sur la Toile pour voir si nous étions un cas unique. Nous ne le sommes pas, j’en ai trouvé deux autres sur les sites japonais (un premier rapporté par un blogueur, et un deuxième par un vendeur de vélos Dahon).

Pour l’instant, Béni est à l’hôpital chez mon réparateur de vélos, qui m’a prévenu que la convalescence pourrait être longue.

La garantie ne s’applique pas, puisque Béni n’a pas été conçu pour chausser de gros pneus Big Apple. Il faudra vraisemblablement remplacer la roue… mais on n’en trouve nulle part, les stocks sont épuisés pour l’instant si j’en crois les résultats de mes recherches. Dahon semble avoir encore des pneus en carbone en stock, mais pour un cycliste du dimanche le coût est un peu (pas mal) trop élevé.

Heureusement, Branleux (un Dahon Vybe C7 2015 à roues de 20 pouces) n’a pas encore dit son dernier mot et peut encore rouler sans traîner de la roue. Le seul problème, c’est que j’ai laissé ma selle Brooks sur Béni, et qu’aller rouler 90 km ou plus sur une selle ordinaire ne me dit rien. Mes fesses se plaindraient. Pire encore, j’ai laissé le support du GPS sur le guidon de Béni, donc je devrais rouler sans GPS, et avec mon piètre sens de l’orientation ça serait vraiment trop maso.

À suivre…


Je me suis rappelé aujourd’hui de ma première « longue balade » à vélo au Japon. C’était en 1993. Étudiant, j’avais un vélo tout-terrain que je prenais pour mes courts déplacements à Ikuta (生田), dans la préfecture de Kanagawa. Chaque mois, je recevais le versement mensuel de ma bourse d’étude à l’Université de Tokyo (Tōdai) en argent comptant. Pas de virement bancaire, donc.

Chaque fois, les boursiers étrangers devaient aller chercher leur enveloppe en personne au minuscule bureau aménagé à cet effet dans l’aile administrative du campus de l’université. L’employé qui avait pour tâche ingrate, une fois par mois, de nous remettre nos enveloppes semblait vivre cette journée fatidique comme un véritable cauchemar. Muet comme une carpe, il avait l’air complètement traumatisé. Je suis allé cherché mon enveloppe 24 fois pendant mon séjour de deux ans à Tōdai, et n’ai jamais réussi à lui soutirer le moindre sourire, et encore moins à engager la plus petite conversation. La procédure était toujours la même : j’entrais dans son petit bureau, inscrivais mon nom sur le registre, il cherchait l’enveloppe, la trouvait et me la tendait. Je disais merci et sortais. Fin de la procédure. Au suivant.

Un jour, j’ai réalisé que j’avais dépensé tout mon argent du mois et n’avais pas assez de monnaie pour prendre le train jusqu’à l’université. Seule solution : y aller à vélo.

À l’époque, il n’y avait pas de téléphones intelligents, de Google Maps et de GPS pour cyclistes. Et de mon côté je n’avais pas l’âme du cycliste, ma bécane servant juste pour de courts déplacements ou pour des balades sur la piste le long de la rivière Tamagawa (多摩川). Il y avait quelque chose de terrorisant à l’idée de partir, comme ça, avec une carte (une vraie, en papier, et pleine de kanjis) de la région métropolitaine, pour aller au cœur de Tokyo, dans le trafic, recevoir ma petite enveloppe.

Aujourd’hui, Google Maps permettrait de faire le trajet presque en ligne droite en moins de 20 km entre mon ancien appartement et la « Porte rouge » (赤門) de Tōdai. Mais en 1993, avec ma carte en papier, j’ai sûrement roulé plus que 20 km, avec de fréquentes pauses pour sortir la carte et essayer de m’orienter.

J’y suis finalement arrivé et me souviens que sur le chemin du retour, avec la précieuse enveloppe dans mon sac à dos, je jubilais d’avoir réussi ce que je percevais comme un exploit. Ça m’amuse beaucoup aujourd’hui quand j’y repense.

Pour la plupart des gens qui n’utilisent leur vélo que pour de petits déplacements dans le quartier, se taper quelques dizaines de kilomètres la même journée a quelque chose d’impressionnant. Mais il suffit de s’y mettre un petit peu sérieusement — ça fait paradoxal, dit comme ça, parce que le but est quand même de s’amuser — pour réaliser qu’on peut aller très loin et sans grand effort, même sur un vélo très ordinaire.

Pour les étudiants et travailleurs étrangers qui débarquent au Japon, les premiers mois — voire les premières années — sont souvent les plus difficiles. Le vélo, et surtout le vélo pliant, peut être une façon très agréable et efficace de garder la forme, de briser l’isolement en rencontrant d’autres cyclistes et de découvrir le pays autrement que par la fenêtre d’un train ou d’un autobus.


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