Marcher dans Edo

La tour

J’ai fait une petite découverte hier, une découverte qui va plaire aux marcheurs qui déambulent dans Tōkyō. Je préparais une petite vidéo à filmer le long de la rivière Kitajūkengawa (北十間川) en direction de la tour Skytree, et en fouillant dans les vielles cartes numérisées d’Edo, j’ai réalisé qu’on y trouvait, en plus des cartes elles-mêmes, des liens vers des fichiers png utilisables en tant que couches sur les applications de navigation GPS pour téléphone.

Qu’est-ce à dire ? Simplement qu’on peut prendre une vieille carte d’Edo, la superposer à une carte contemporaine de Tōkyō et naviguer dans le présent tout en regardant le passé sur son téléphone. Laissez-moi vous montrer.

D’abord, je vais sur le site 日本語版 Map Warper, et je fais une recherche avec 江戸 (Edo) en cochant l’option 整形済みの地図のみ (seulement les cartes remodelées), comme ceci.

J’obtiens une liste d’anciennes cartes partielles de la ville, et, avec un peu de persévérance, j’en trouve une qui contient la zone où je prévois d’aller filmer. (On peut aussi utiliser la carte du site pour zoomer sur la zone désirée et n’afficher que les cartes de ladite zone.)

La carte qui me convient, pour cette balade, est celle-ci.

De là, je peux aller sous l’onglet エクスポート (Exporter) pour trouver le lien qui va me permettre d’importer cette ancienne carte sur mon téléphone, en l’occurrence sur une application de navigation qui permet d’ajouter une couche à la carte actuelle de Tōkyō. Dans mon cas, c’est l’application OsmAnd. Parmi les liens d’exportation, il y a celui des tuiles (タイル) de format Google/OSM :

https://mapwarper.h-gis.jp/maps/tile/4149/{z}/{x}/{y}.png

Dans un billet précédent, j’ai expliqué comment installer les tuiles ou couches dans OsmAnd. J’installe donc celle-ci dans OsmAnd et obtiens ceci :

L’écran du téléphone affiche une carte actuelle de Tōkyō et, par-dessus, la carte partielle d’Edo.

Si je fais un zoom sur la zone qui m’intéresse plus particulièrement, et si j’ajuste la transparence pour n’afficher que l’ancienne carte, j’obtiens ceci.

Zoom sur la carte sous OsmAnd

Dimanche dernier, je suis parti de Nagareyama et ai roulé jusqu’à la rivière Kitajūkengawa en longeant la rivière Kyū-Nakagawa (旧中川), pour filmer la tour Skytree en roulant le long de ces cours d’eau. Et l’avantage, avec une application GPS, c’est qu’on peut y ajouter des POI (points d’intérêt), comme ci-dessous avec les coordonnées GPS de la tour pour l’afficher là où elle n’existait pas autrefois.

De retour à la maison, j’ai exporté le fichier de la balade sur l’ordinateur et l’ai ouvert avec GpsPrune, pour explorer un peu plus tranquillement la zone parcourue à vélo.

Le filmage pour Kinomap s’est arrêté au pied de la tour. De l’autre côté du fleuve Sumidagawa (隅田川), à gauche, on aperçoit l’enceinte du temple Sensōji (浅草寺), avec, encerclée en bleu, la fameuse porte Kaminarimon (雷門), lieu de rendez-vous incontournable des touristes qui viennent visiter le coin.


Les ponts

Dans les commentaires du dernier billet, il a été question de l’absence relative de ponts sur l’illustration schématique de la plaine du Kantō, et plus précisément sur les fleuves Edogawa et Tonegawa. Par contre, sur le fleuve Sumidagawa, à gauche, on aperçoit quelques ponts.

Lorsque TOKUGAWA Ieyasu est venu s’établir, plus ou moins malgré lui, à Edo, il a fait construire le Grand pont Senju (千住大橋), que nous avons déjà vu dans un billet sur les balades consacrées au peintre Hiroghige.

Flashback (je me cite)

L’estampe s’intitule le « Grand pont de Senju » (estampe 103 sur Wikipédia).

Sa construction, ordonnée par Tokugawa Ieyasu, a été achevée en 1594 sur le fleuve Sumida (autrefois appelé Arakawa à cette hauteur du cours d’eau). Extrêmement robuste, ce premier pont construit par le gouvernement militaire a résisté aux intempéries pendant toute l’époque Edo (1603-1868), ne se laissant finalement emporter par le courant qu’en 1885, à l’occasion du passage d’un typhon. Dans sa série de billets consacrés aux Cent vues célèbres d’Edo, le photographe Kichiya explique que les poutres du pont étaient en « maki-no-ki » (槙の木), et ajoute que, par contraste, un autre pont construit sur ce même fleuve une centaine d’années plus tard, le 新大橋 (Shin Ōhashi) a dû être reconstruit pas moins de 20 fois.

En 1659 ou 1661, le bakufu a fait construire un second grand pont, le Ryōgoku (両国橋), appelé simplement le grand pont (大橋) à l’époque. Cette appellation de Ryōgoku (両国橋) nous permet de faire le pont avec un des billets précédents, où nous avions vu les plateaux Musashino et Shimōsa… Ressortons notre main mnémonique :

Complètement à gauche, le plateau Musashino (武蔵野台地). Entre le majeur et l’annulaire, le plateau Shimōsa (下総台地). Ces appellations viennent des provinces de la période Edo.

Source : LunchboxLarry - Squirrel02 Flickr, CC BY-SA 2.0, Link

Sur cette adorable carte, juste au-dessus de la baie d’Edo, j’ai encerclé les provinces de Musashino et Shimōsa. Le nom du pont Ryōgoku vient de là : 両国橋, littéralement « le pont des deux provinces », donc le pont entre les deux provinces. Initialement, Ieyasu n’avait pas autorisé la construction d’autres ponts que le Grand pont de Senju (1594) sur le fleuve Sumidagawa, afin de mieux protéger la ville contre les provinces voisines. Ce n’est qu’après le Grand incendie de Meireki de 1657 que le gouvernement militaire (bakufu) modifia cette politique, car l’absence de ponts avait empêché la population de fuir les flammes. C’est à la suite de ce revirement de la politique en matière de ponts que le pont Ryōgoku a été construit.

Le pont Ryōgoku, par Hokusai. Source : Katsushika Hokusai, Public domain, via Wikimedia Commons


Sherlockons la conclusion

Revenons à notre carte de la plaine d’Edo. Sur le fleuve Sumidagawa, on n’aperçoit que deux ponts. On peut en conclure que ce sont les deux dont nous venons de parler, et que la carte, si elle est fidèle à la réalité historique, présente la plaine entre 1659 (ou 1661), après l’achèvement du Ryōgoku, et 1693, date de construction du troisième pont, le fragile Shin-Ōhashi (新大橋) dont nous avons parlé plus haut… La position des ponts sur la carte correspond par ailleurs à nos attentes, avec le premier (le « Grand pont de Senju ») juste sous Senju (千住, dans le cadre orange), et l’autre plus bas, en aval, à proximité de l’emplacement de l’actuel pont Ryōgoku. Le mystère de la période à laquelle fait référence l’illustration de la plaine semble donc résolu, à une trentaine d’année près, ce qui n’est quand même pas si mal.

Fin de la promenade


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