Ce sur quoi nous roulons (2)

Il y a de cela 130 000 ans, la plaine du Kantō où je roule avec mon bipède était recouverte d’eau salée. Le niveau de la mer y était d’une dizaine de mètres plus élevé qu’aujourd’hui, et formait ce qu’on appelle l’ancienne baie de Tōkyō ( 古東京湾 (ことうきょうわん) ), beaucoup plus étendue que celle d’aujourd’hui.

Aperçu schématisé de l’ancienne baie de Tōkyō 👉 Source : 茨城県霞ケ浦環境科学センター | 霞ヶ浦ができるまで①(約10万年前から縄文時代まで)

En zoomant sur l’encadré rouge et en y superposant quelques villes et cours d’eau actuels, on voit que la présente baie de Tōkyō n’occupe qu’une petite partie de l’image, dans le coin inférieur gauche (en bleu foncé). Toute la zone en bleu pâle se trouvait sous une dizaine de mètres d’eau. L’autre zone bleu foncé, légèrement sur la droite et à mi-hauteur, montre l’actuel lac Kasumigaura (霞ケ浦). (Cliquez sur l’image pour voir la version grand format sur le site source.)

👉 Source : Idem

Il y a 30 000 à 20 000 ans, les eaux se sont retirées sous l’effet du refroidissement de la planète, n’atteignant plus qu’un niveau inférieur de 80 mètres à celui d’aujourd’hui. Dans cette nouvelle plaine, deux choses sautent aux yeux du cycliste que vous êtes : premièrement, que la baie de Tōkyō est complètement à sec, et deuxièmement que le lac Kasumigaura, où nous avons filmé quelques balades pour Kinomap, n’existe pas encore (mais les cours d’eau qui lui donneront naissance par la suite sont bien présents).

👉 Source : Idem

Bon, jusque-là, à part la faune préhistorique, ces fluctuations du niveau des mers n’affectent pas grand monde, mais il y a environ 6 000 ans, en pleine période Jōmon de l’histoire japonaise, le réchauffement de la planète fait encore une fois remonter le niveau des eaux et celles-ci forment de grands bras de mer ( 入り江 (いりえ) ) dans la plaine, où se trouvent des chasseurs-cueilleurs. En juxtaposant la carte actuelle à cette zone, on constate le « retour » de la baie de Tōkyō (en bleu foncé) et la présence des très longs bras de mer, dont ceux qui enveloppent l’actuel lac Kasumigaura.

👉 Source : Idem

La présence de ces bras de mer explique celle des nombreux kaizuka (貝塚, amas ou collines de coquillages) que l’on découvre à des endroits où ont vécu autrefois des chasseurs-cueilleurs de la période Jōmon. Selon la version japonaise de Wikipédia, environ 2 500 sites ont été découverts jusqu’à présent sur l’archipel, dont environ le quart en bordure de la baie de Tōkyō. Une liste de sites est disponible ici, en japonais. Deux de ces sites se trouvent près du lac Kasumigaura et de la fameuse piste cyclable Ring Ring Road, dont une partie fait le tour du lac.

Les sites de kaizuka Okadaira (陸平貝塚, à droite) et Kamitakatsu (上高津貝塚, à gauche), aux environs de la piste Ring Ring Road (Source : couche 国土地理院の数値地図25000 [土地条件図] du CGI, telle qu’affichée sous le logiciel GpsPrune)

Ce qui frappe le regard, quand on roule autour du lac, c’est l’omniprésence des champs de lotus. Dans la région métropolitaine, 90% du rhizome de lotus qu’on trouve sur le marché vient de la préfecture d’Ibaraki, où se trouve le lac Kasumigaura. À elle seule, cette préfecture représente 40% du volume de production de tout l’archipel. On l’y cultive au moins depuis le huitième siècle, mais sa culture commerciale n’aurait commencé que dans les années 1940. Comme la récolte commence en septembre et se poursuit jusqu’au mois de mars, le cycliste qui longe les champs en roulant sur la piste a de fortes chances d’apercevoir des paysans (et de plus en plus des travailleurs étrangers venus d’ailleurs en Asie) en train de récolter les rhizomes avec de l’eau jusqu’à la taille. La longueur de cette période de récolte s’explique par le fait que le lotus se trouve alors en période de dormance ( 休眠期 (きゅうみんき) ), car les feuilles et tiges se dessèchent, privant du même coup le rhizome d’oxygène (👉 source).

Photo prise le 2 octobre 2023 en roulant dans la préfecture d’Ibaraki


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