En passant par le temple Kannon-ji de la secte Shingon

Dimanche, nous sommes allés rouler le long des hautes terres de Tsukuba (筑波山地), entre les gares de Tsuchiura et d’Ishioka, en combinant deux tracés de Geo Pottering. J’écris « le long » des hautes terres, mais en fait il a fallu les franchir deux fois, la première en roulant… et la deuxième en marchant, tellement la surface inégale était hostile aux roues de vélo.

Pour Kinomap, mon bipède a filmé et légèrement édité les deux bouts indiqués en vert ci-dessus. Le reste, pour un tas de raisons bonnes ou mauvaises, a pris le chemin de la corbeille.

La première vidéo, qui correspond au bout de tracé vert de gauche, commence par une descente sur une section de la « Fruit Line », qu’elle quitte avec soulagement pour aller rouler à travers les hameaux de Shimo-Aoyagi (下青柳) et Kami-Aoyagi (上青柳). Ce qui fait le charme de ces hameaux, en plus des paysages de campagne, ce sont les grosses maisons traditionnelles à toit de chaume qu’on peut apercevoir ici et là en retrait du chemin, généralement à l’extérieur du champ de vision de la caméra.

Nous avons ensuite poursuivi vers le nord en zigzagant, attaqué en marchant l’étroite route de montagne qui passe par le jardin zoologique Higashi Tsukuba Yūtopia (東筑波ユートピア) et le temple Saikōin (西光院) du mont Minedera-san (峰寺山), sommes redescendus par le versant nord et, vers midi, alors que tout allait pour le mieux sous un ciel complètement bleu, sommes tombés sur une suite de routes barrées par des policiers au beau milieu de notre tracé GPS (on entendait un flot tonitruant de musique, il y avait sans doute un événement musical battant son plein). Il a donc fallu improviser un détour, chercher un supermarché, acheter de quoi se mettre sous la dent (celle du bipède pédaleur) puis trouver un coin d’ombre. Or, d’ombre, il n’y avait pas le plus petit fragment.

Ce n’est qu’une heure plus tard qu’une bouée de sauvetage est apparue sur notre gauche, sous la forme salvatrice d’une colline de temple hérissée de gros arbres sacrés. Au pied de la colline, des affiches indiquaient en gros 観音寺 (temple Kannon-ji) et, en plus petit, 真言宗 智山派 (branche Chisan de la secte Shingon).

Nous avons gravi la colline, pénétré dans l’enceinte, trouvé un coin d’ombre tout au fond de celle-ci, puis mon bipède, trépignant et salivant, s’est assis au milieu des feuilles mortes pour attaquer son dîner goulûment.

La colline salvatrice du temple Kannon-ji

Cette goinfrerie commencée à grands coups de baguettes dans une salade de patates a été aussitôt interrompue, de derrière, par la douce voix d’un jeune homme dans la vingtaine, le fils du jūshoku (住職, l’abbé des lieux en quelque sorte).

Brèves présentations, puis discussion enjouée au sujet de tout et de rien : des travaux de labourage et d’irrigation qui commencent devant nous dans les rizières que surplombe la petite colline du temple, de la nature qui renaît dans toute sa splendeur en cette fin d’avril, de l’agréable brise qui se faufile jusqu’à nous entre les arbres, de l’augmentation récente du nombre de cyclistes — qui, contrairement à mon bipède, ne viennent jamais sur la colline mais passent seulement devant, sur l’étroite piste cyclable qui longe la rivière Koisegawa (恋瀬川). Lorsque mon bipède lui pose la question, il répond que oui, un jour il prendra la relève de son père à la tête du temple, ayant acquis pour cela les qualifications nécessaires sous la forme d’études en bouddhisme à l’Université Taishō.

Pour dire vrai, mon bipède avait hésité un brin avant de gravir la colline pour s’y abriter des ardeurs insistantes du soleil et manger. C’est un mélange somatico-culturel — fait d’un ventre creux et de l’intuition de pouvoir compter sur l’indulgence vis-à-vis d’un étranger souriant — qui a finalement pesé le plus lourd sur la balance de l’hésitation. Il prévoyait de ne pas s’y attarder, de filer discrètement aussitôt prise la dernière bouchée, ni vu ni connu, mais repu (ça doit être beau en latin, c’est à regretter de ne l’avoir jamais étudié).

Le repas terminé, mon bipède est invité à venir visiter le superbe bâtiment principal ( 本堂 (hondō) ), qui vient tout juste d’être reconstruit. L’ancien, explique le jeune moine en devenir, datait de l’époque Edo — plus précisément de l’année 1710, mais le temple lui-même, dixit son site Web, remonterait à l’an 1335 — et n’a pas résisté au grand séisme de 2011. Si vous êtes comme lui — mon bipède —, vous n’avez sans doute pas souvent l’occasion de pénétrer, sur invitation personnelle, dans le hondō d’un temple pour une petite visite privée. Et comme lui, une fois dedans, vous risquez de ne pas trop savoir quoi faire et de vous creuser les méninges en vain pour ramener à la surface quelques misérables fragments de vos maigres et poussiéreuses lectures sur le bouddhisme ésotérique Shingon.

Après une interminable hésitation d’un bon huitième de seconde, mon cycliste désinvolte décide d’accepter cette offre spontanée, généreuse et souriante avec un sourire qui en vaut au moins dix, et le voilà parti derrière le fils du maître des lieux, direction le hondō.

Le hondō du temple Kannon-ji, au centre, vu depuis le stationnement désert où attend Béni-le-Rouge.

Sur le seuil du hondō, le jūshoku accueille mon vieux cycliste barbu avec le sourire et l’invite à entrer, lui fait allumer et planter un bâton d’encens dans l’encensoir, puis lui explique les grandes lignes des travaux qui ont redonné l’éclat de sa jeunesse à ce bâtiment principal du temple. Cet éclat du bois neuf, précise le fils, ne durera guère longtemps… Sa remarque ramène mon barbu un quart de siècle en arrière et lui rappelle la vitesse étonnante à laquelle les tatamis de sa nouvelle maison, d’abord verts et odorants, avaient rapidement tourné du vert au beige.

Le père parle aussi des peintures et gravures du 18e siècle, des matériaux utilisés, dont ceux de l’objet suspendu au plafond, un kago (駕籠, chaise à porteurs) que le moine qualifie en souriant de taxi d’antan. Un taxi lourd, pour lequel il fallait quatre porteurs. Il parle aussi avec nostalgie de l’époque où l’on utilisait les arbres des forêts japonaises pour construire les temples, ce qui faisait de la montagne une richesse à la fois spirituelle et matérielle, tandis que de nos jours, l’industrie forestière n’ayant pas survécu à la concurrence, tout le bois de construction vient d’ailleurs.

Célébration de l’achèvement du nouveau bâtiment principal du temple

Ils parlent aussi un peu de vélo, et le moine raconte que lui, dans sa jeunesse, c’était plutôt le surf… Il précise qu’il y va encore parfois, puisque la mer n’est pas très loin en voiture, mais qu’à 50 ans il doit se contenter de petites sorties, le souffle lui manquant pour taquiner longtemps les vagues.

Ils ressortent finalement du hondō, le charme se rompt doucement, mon bipède me déverrouille et prépare la caméra pour la suite de la balade, puis demande au moine l’autorisation de filmer sa prochaine séquence Kinomap à partir du temple. Le moine accepte avec le sourire, prend la direction de sa maison, en ressort et tend au barbu une carte de visite, l’invitant à venir se reposer dans le hondō chaque fois qu’il passera dans le coin à vélo. Surpris et ravi, mon barbu se met à rêver qu’il est la version francophone et cycliste de Craig Mod, ce marcheur freelance qui raconte le Japon et ses gens dans des livres, dans le New York Times et The Atlantic, quand ce n’est pas sur son site Web. Puis il reprend sa route en filmant, se heurte à des bouts de piste cyclable fermés pour travaux de rénovation, se dit qu’il aura bien du mal à faire une vidéo avec cette section du tracé, et qu’il devra revenir bientôt dans les environs, où, plus au nord, il y a d’autres coins de rizière à explorer et, qui sait, d’autres moines à rencontrer ?


Du temple à la gare, tant bien que mal


Dans le train du retour, une pensée traverse l’esprit du barbu. Mais pourquoi donc n’ai-je pas pris de photos ? Craig Mod mon œil…


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