Découvrir la rizière (4)
Canaux d’irrigation
検地 Cadastrage à l’époque Edo. Source : 安藤博 編『徳川幕府県治要略』,赤城書店,大正4. 国立国会図書館デジタルコレクション https://dl.ndl.go.jp/pid/980845 (参照 2024-02-23)
Dans le dernier billet, nous avons vu que la réorganisation des terres agricoles vise le regroupement des surfaces de culture pour en faire l’exploitation à plus grande échelle. Les entités de gestion collectives qui se créent un peu partout sur l’archipel réorganisent les terres dispersées pour faciliter l’utilisation de la machinerie agricole sur de grandes surfaces.
Prenons un exemple présenté sur le site de la préfecture de Niigata, la plus grande productrice de riz.
Source : Préfecture de Niigata, 【巻農村】田んぼをつくる
Ce schéma montre, à gauche, une répartition traditionnelle des terres cultivées, où celles des ménages agricoles X, Y et Z sont dispersées et de formes diverses. Un canal ( 水路 ) passe à travers, ainsi qu’une petite route sinueuse. À droite, en opposition à ces terres traditionnelles ( 従前地 ), le schéma montre des terres échangées ( 換地 ) entre les ménages X, Y et Z membres de l’entité de gestion collective, réorganisées en quadrilatères, entourées de canaux d’irrigation rectilignes et de chemins plus larges (de 50m², la surface routière est passée à 130 m² sur le schéma), également rectilignes, et dotées d’un terrain pour l’aménagement d’une usine où se trouvent les équipements agricoles collectifs.
Or, il se trouve que l’auteur de ce blog (Béni-le-Rouge) et son compagnon bipède adorent rouler dans les chemins étroits et sinueux. Très souvent revêtus, ils sont aussi pratiquement déserts, à l’exception des périodes de travaux agricoles, ce qui en fait de véritables paradis pour cyclistes. Leur disparition graduelle, pour nous deux, est une bien triste nouvelle. Heureusement il est reste encore beaucoup… pour l’instant.
坪刈り À l’époque Edo, pour évaluer le volume total des récoltes du métayer, et donc la part revenant au seigneur, on faisait le calcul en se basant sur la récolte d’une petite superficie de 1 tsubo (3,3 m²) dans la rizière. Source : 安藤博 編『徳川幕府県治要略』,赤城書店,大正4. 国立国会図書館デジタルコレクション https://dl.ndl.go.jp/pid/980845 (参照 2024-02-23)
Toujours sur le même schéma, on peut voir que le canal ( 水路 ) a été remplacé par un canal d’irrigation ( 用水路 ), qui transporte l’eau d’un cours d’eau ou d’une étendue d’eau jusqu’à la rizière, et par un canal d’évacuation de l’eau ( 排水路 ). Schématisons encore un peu plus :
Quand nous roulons, ces canaux d’irrigation et d’évacuation sont les deux types de canaux visibles le long des rizières. Mais les canaux peuvent aussi être souterrains ( 暗渠 ) : placés en bordure de la rizière, ils présentent notamment l’avantage de permettre d’élargir le chemin pour en faire une route rurale ( 農道 ) ; placés sous la rizière, entre la couche de terre dans laquelle pousse le riz et le sous-sol, ils permettent d’éviter l’excès d’eau sous la couche de surface. Voyons la structure verticale de la rizière…
- Eau
- Couche de sol de surface ( 作土層 )
- Couche de semelle (ou plancher) de labour ( 鋤床層 )
- Sous-sol
La couche de semelle soutient la couche boueuse dans laquelle pousse le riz et sur laquelle circulent les machines agricoles, et pour qu’elle puisse bien le faire, il faut éviter qu’elle absorbe trop d’eau.
*Repiquage du riz à la main, autrefois, dans la préfecture de Niigata. Sans canaux d’irrigation adéquatement aménagés, ce genre de situation se produirait encore dans les rizières… (Source : 北陸農政局 — 北陸の農業農村整備の歴史)
Les tuyaux souterrains, enveloppés d’un matériau absorbant (comme de la balle de riz) et dotés de trous récupèrent l’excès d’eau de la couche de semelle pour l’envoyer vers le canal d’évacuation (qui évacue aussi l’eau de pluie, mais peut aussi contribuer à l’irrigation de la rizière quand elle manque d’eau). Vers la fin de cette courte vidéo éducative, on voit bien ces tuyaux souterrains sous la rizière.
Le riz ne reste pas immergé dans la rizière pendant toute la saison de culture. La profondeur d’eau est modifiée plusieurs fois pendant la saison rizicole. On parle de gestion de l’eau : 水管理 . Environ un mois après le repiquage du riz dans la rizière, on ouvre grandes les valves d’évacuation pour assécher le sol ([ 中干し ]) jusqu’à ce qu’il se fissure. Pendant environ une semaine, l’oxygène pénètre et renforce les racines, tandis que les gaz nocifs qui, comme le méthane, pouraient les abîmer s’échappent par les fissures. Évacuer l’eau évite aussi le tallage ( 分けつ ) excessif des plants par absorption d’une trop grande quantité d’azote.
En attendant le retour de la saison rizicole, voici quelques photos prises en 2022.
Photo prise le long de la Ring Ring Road à la fin avril 2022, juste avant le repiquage des plants. On voit ici un tuyau d’évacuation souterrain qui se jette dans le canal d’évacuation.
Un peu plus tôt en avril 2022, alors qu’il ne restait plus que quelques fleurs sur les cerisiers, cet exploitant préparait le sol pour le repiquage. La mince couche d’eau va protéger les jeunes plants repiqués contre les variations extrêmes de température et rendre la vie difficile aux mauvaises herbes, dont les graines apportées par le vent flotteront au lieu de prendre racine.
30 avril 2022. Un petit exploitant repique le riz dans une petite rizière. On voit que l’autre parcelle, un peu plus haut, n’est pas encore prête pour le repiquage, puisque la terre est encore visible par endroits.
30 avril 2022. Un ménage rizicole dans sa petite rizière, en train de repiquer des plants là où la petite repiqueuse motorisée n’a pas pu faire le travail aussi bien qu’une main humaine.
上野英三郎
Eisaburō UENO (1872-1925) est un homme relativement moins connu des étrangers que son fidèle chien Hachikō, dont la fameuse statue sert chaque jour de lieu de rendez-vous à des centaines, voire des milliers de gens à la gare de Shibuya. C’est à cet homme, fondateur du génie agricole japonais, que l’on doit la structure actuelle des rizières. Il a, pourrait-on dire, laissé sa trace profondément dans sol des campagnes japonaises.
UENO, après avoir étudié le génie agricole occidental, s’est attaqué au problème du réaménagement des rizières japonaises en vue d’améliorer la productivité du sol et celle du travail, car il avait anticipé que la modernisation allait entraîner le déplacement de la force ouvrière vers les villes. Comme l’explique Shō SHIOSAWA (塩澤 昌), réaménager les terres était une tâche ardue du point de vue du génie agricole, car dans le cas de la riziculture irriguée il ne suffisait pas de tracer de nouvelles lignes de délimitation sur de plus grandes surfaces : il fallait tenir compte de facteurs climatiques et topographiques — le degré des pentes, notamment — et de la superficie à irriguer pour bien évaluer l’envergure des canaux et les débits d’irrigation et d’évacuation nécessaires. Les formules de base qu’il a établies pour cela sont encore, dans l’essence, utilisées de nos jours.
Ses aller-retour entre la théorie et l’expérimentation sur le terrain l’ont amené, entre autres choses, à l’adoption du format de rizière que l’on retrouve partout sur l’archipel aujourd’hui : le rectangle des parcelles de 30 m x 100 m Avec, d’un côté, le chemin et le canal d’irrigation, et de l’autre, le canal d’évacuation.
Parcelles de 30 m x 100 m entourées d’un chemin, avec, sur la face de 30 mètres, le canal d’irrigation du côté du chemin et le canal d’évacuation du côté opposé. (Source)
Aménagées de cette façon, toutes les parcelles sont accessibles depuis le chemin et en contact direct avec les canaux, et l’adoption de la forme rectangulaire permet d’optimiser le déplacement des bœufs ou des chevaux dans la rizière (les fréquents changements de direction, sur une surface carrée, ralentissent le travail).
Pour l’anecdote, on dit qu’UENO avait vivement critiqué un modèle de réaménagement proposé dans la préfecture de Shizuoka, sous forme de rizières carrées de 108 m x 108 m.
Ces 108 mètres viennent de l’unité de mesure 間 (ken), que nous avons rencontrée dans un billet en 2022 (Ne jetez pas les couches jetables !). 1 ken, soit la largeur d’une étroite route rurale traditionnelle, correspond à 1,8 mètre. Un carré de 60 ken x 60 ken correspond donc à 108 m x 108 m. Le tout est orienté nord-sud, peu importe la topographie environnante, formé de 50 parcelles rectangulaires (5 rangées de 10), entouré de canaux qui servent indistinctement à l’irrigation de la rizière et à l’évacuation des eaux, et ces canaux sont eux-mêmes entourés de chemins.
Pour UENO, cette orientation nord-sud relevait de la superstition (en référence à la pensée chinoise importée au Japon, je n’entrerai pas là-dedans ici, on n’en sortirait plus) ; la forme des parcelles était contre-productive ; et en plaçant les canaux tout autour, on se retrouvait avec un tas de parcelles sans accès direct aux canaux et chemins. Bref, il devait se dire : « C’est joli, mais c’est con. » Son modèle réglait tous ces problèmes, mais UENO insistait sur une chose : la forme de la rizière, on l’établit après être allé vérifier sur le terrain, et de manière à maximiser les profits et à minimiser les coûts. Comment le faire, c’est ce qu’il enseignait dans ses cours à l’université.
SHIOSAWA ajoute un commentaire intéressant à tout ceci, quand il écrit qu’UENO voulait à la fois améliorer la productivité de la terre et la productivité du travail, mais que pour les propriétaires terriens de son époque, seule la première avait de l’intérêt. Les idées et formules d’UENO ont donc été adoptées rapidement pour les canaux d’irrigation et d’évacuation, mais pas pour le réaménagement des rizières en surfaces rectangulaires de 30 m x 100 m. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que ses idées, d’abord conçues pour utiliser plus efficacement bœufs et chevaux et pour réduire le temps de travail, ont commencé à se diffuser pour l’exploitation des machines.
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