Sur les traces de Geo Pottering ­(31)

Hiroshige à vélo : Tour de l’arrondissement d’Arakawa [4]


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Tracé et points d’intérêt du parcours


Longueur du parcours : 30 km. Niveau de difficulté : Facile (terrain plat) . (Les étapes présentées dans ce billet sont en retrait dans la liste ci-dessous.)


■ Gare ( 日暮里駅 (Nippori-eki) )

▸ Musée du train (トレイン ミュージアム) : 0,3 km

▸ Fujimizaka (富士見坂) : 0,8 km

▸ Temple Shushōin (修性院) : 0,9 km

▸ Boulangerie ianak! : 1,2 km

▸ Parc Nishi-Nippori (西日暮里公園) : 1,5 km

▸ Sanctuaire Suwa-jinja (諏方神社) : 1,8 km

▸ Temple Enmei-in (延命院) : 2,4 km

▸ Rue marchande 谷中銀座 (Yanaka Ginza)  : 2,5 km

▸ Tōsho Bunko (東書文庫) : 10 km

▸ Arakawa-shako (荒川車庫) : 11 km

▸ Parc d’attractions Arakawa-yūen (あらかわ遊園) : 13 km

▸ Vestiges de la fabrique de laine de Senju (千住製絨所跡) : 19 km

▸ Grand pont Senju (千住大橋) : 20 km

▸ Parc Shioiri (汐入公園) : 22 km

▸ Sanctuaire Ishihama-jinja (石浜神社) : 23 km

▸ Temple Enmei-ji (延命寺) : 24 km

▸ Temple Ekō-in (回向院) : 24 km

▸ Pont Minowa (三ノ輪橋) : 25-26 km

▸ Temple Jōkan-ji (浄閑寺) : 27 km

▸ Parc Nippori (日暮里公園) : 28 km

▸ Nippori Senigai (日暮里繊維街) : 30 km

▸ Habutae Dango (羽二重団子) : 30 km

■ Gare ( 日暮里駅 (Nippori-eki) ) : 30 km


Dans le dernier billet, nous étions arrivés au Grand pont Senju, qui surplombe le fleuve Sumida. De là, la balade se poursuit en passant d’abord sous trois autres ponts ferroviaires : celui de la ligne Jōban-sen (常磐線), celui du Tsukuba Express (つくばエクスプレス) et celui de la ligne de métro Hibiya-sen (日比谷線).

Après être passé sous les trois ponts, le groupe réapparaît sur la rive du fleuve Sumida.

Un peu plus loin, le trajet trace une grande courbe vers le sud en suivant le lit sinueux du fleuve. De là, les cyclistes aperçoivent l’autoroute C2 ( 首都高速中央環状線 (しゅとこうそくちゅうおうかんじょうせん) ) ,dont le rayon se déploie sur environ 8 kilomètres au cœur de la capitale.

Yukkī devant l’autoroute C2. Sous celle-ci, à peu près au milieu de la photo, se trouve l’embouchure de la rivière Ayase (綾瀬川).

Toute cette zone où le fleuve décrit une courbe est appelée communément Kanegafuchi (鐘ヶ淵), appellation qui tirerait son origine, dit la tradition orale, d’une cloche de temple qui y aurait sombré ( (kane) signifie cloche et (fuchi) abysse, ce qui donne l’abysse de la cloche), soit pendant la traversée d’un pont lors du déménagement d’un temple en 1620, soit à l’occasion d’une inondation qui l’aurait emportée en 1720, soit encore pendant son transport fluvial en tant que trophée de guerre, en 1552. On dit même que le huitième shōgun, Tokugawa Yoshimine (1716-1745) aurait ordonné que l’on remonte la fameuse cloche avec une corde tressée avec les cheveux de centaines de femmes de la capitale, et que ladite tentative aurait échoué, la corde s’étant rompue au moment même où la cloche faisait surface. Ce qui n’est pas sans rappeler les histoires de pêche au Québec…

Nous n’avons donc toujours pas, à ce jour, récupéré la supposée cloche, mais elle nous a légué deux choses. D’abord, le nom de la société de produits cosmétiques Kanebo, bien connue au Japon, et dont l’origine remonte à une filature construite à Kanegafuchi en 1887. Pour faire court, disons que le « Kane » est celui de Kanegafuchi et que le « bo » vient de 紡績 (bōseki) , filature. Ensuite, cette cloche abyssale nous a légué une belle estampe des Cent vues, intitulée « La rivière Ayase-gawa Kanegafuchi » sur Wikipédia, estampe 63.

綾瀬川鐘か渕 (« Rivière Ayase — Kanegafuchi »), juillet 1857

J’écris « Rivière Ayase — Kanegafuchi » au lieu de « La rivière Ayase-gawa Kanegafuchi » pour rester un peu plus fidèle à l’intitulé japonais, qui sépare les deux éléments de l’estampe, avec la rivière Ayase-gawa à droite et Kanegafuchi à gauche (et complètement à droite, en noir sur rouge, on peut lire 名所江戸百景 (めいしょえどひゃっけい) , c’est-à-dire les Cent vues célèbres d’Edo).

Revenons à la photo, au-dessus de l’estampe. Je disais qu’on y voyait l’embouchure de la rivière Ayase. On la voit aussi sur l’estampe, de même qu’un petit pont qui relie les deux rives de cette rivière. À l’avant-plan, une branche d’arbre à soie ( 合歓の木 (ごうかのき) , Albizia julibrissin) et ses fleurs en forme d’éventail. Faisant écho à l’élégance toute naturelle de ces éventails, vous remarquerez celle des vêtements de l’homme sur le radeau, exemple éloquent du concept d’iki (粋) à l’époque d’Hiroshige.

Toujours dans la courbe que trace le lit du fleuve, se profile sur l’autre rive, derrière le grand pont Suijin 水神大橋 (Suijin-Ōhashi) , un complexe résidentiel conçu de manière à protéger les résidents du quartier contre les incendies. Les logements collectifs y forment, sur 1,2 km, un véritable pare-feu derrière lequel, dans un espace aménagé à cette fin et d’une capacité de 40 000 personnes, peuvent se réfugier les habitants de cette zone à très forte densité d’habitations en bois, entre les fleuves Sumida et Arakawa.

Le grand pont Suijin et le complexe résidentiel pare-feu (officiellement appelé « Shirage Higashi Apāto » (白鬚東アパート)

À la hauteur du grand pont Suijin, nous sommes sur les lieux d’une autre estampe des Cent vues, intitulée « Vue de Massaki depuis la forêt du sanctuaire Suijin, la petite anse d’Uchigawa et le village de Sekiya », estampe 36 sur Wikipédia.

真崎辺より水神の森内川関屋の里を見る図 (まっさきへんよりすいじんのもりうちがわせきやのさとをみるず) , août 1857

En fait, le titre suggéré sur la version française de Wikipédia est erroné. Il faudrait plutôt dire : « Vue sur la forêt du sanctuaire Suijin, la petite anse d’Uchigawa et le village de Sekiya, depuis Massaki ». Et si je ne m’abuse, il faudrait aussi enlever le « village » dans le titre, puisque le Sekiya n’était pas un village, mais plutôt une zone le long du fleuve, celle-ci, zone réputée pour la splendeur du paysage, avec les allées et venues des embarcations à voile, les cerisiers en fleurs, etc., comme l’expliquent le site Web de l’arrondissement d’Adachi ici et celui du Musée d’Art Fuji de Tokyo ici. Et tant qu’à y être, l’anse du titre français de l’estampe pose aussi problème, puisque l’uchigawa (内川) du titre japonais de l’estampe était plutôt un canal.

Mais calmons-nous et revenons à l’estampe elle-même. Le peintre se trouve à l’étage d’un célèbre 田楽屋 (Dengakuya) . Les dengaku sont des mets embrochés sur une tige de bambou — il peut s’agir de tofu, de konjac, etc. — enrobés de miso puis grillés. L’appellation viendrait de la danse traditionnelle dengaku, par allusion au bâton sur lequel s’effectuait en partie le rituel de danses et chants. De ce dengaku (le mets) dérive aussi le « den » du pot-au-feu japonais appelé « oden ».

Sur l’estampe, Hiroshige se trouve donc à Massaki, probablement à l’étage du célèbre établissement 甲子屋 (Kinoeneya) , dixit Henry D. Smith, derrière le shōji (fenêtre coulissante au treillis recouvert de papier de riz) d’une fenêtre ronde qui donne sur le nord-est, en direction du mont Tsukuba, depuis la rive ouest du fleuve Sumida. À gauche, une fleur blanche de camélia ( 白椿 (しろつばき) ) (au moment où j’écris ces lignes, la version française de Wikipédia, erronée sur ce point aussi, indique « magnolia »).

Dehors, à gauche, un abricotier du Japon (Prunus mume), espèce qui, comme son nom ne l’indique pas, a été importée de Chine vers le sixième ou le septième siècle (cet abricotier est souvent confondu avec un prunier en français… comme dans la description de l’estampe sur Wikipédia).

Pour Henry D. Smith, qui a toujours l’œil perspicace en matière d’estampes, l’abricotier en fleurs évoque la visite au sanctuaire Massaki Inari le premier jour du cheval du mois de février ( 初午詣 (はつうまもうで) ), d’où il s’ensuit que les lieux sont vraisemblablement animés et que, la nuit allant bientôt tomber sur la scène, l’embarcation à toit qui quitte Massaki amène un client vers l’ouest, où l’attendent les plaisirs de Yoshiwara.

En zoomant sur l’estampe, à droite, près de la fenêtre coulissante, on peut voir deux lanternes de pierre ( 石灯籠 (いしとうろう) ) et le torii (鳥居) du sanctuaire Suijin.

À suivre…


Le mot du compagnon bipède

Ici, au risque de m’aliéner mon fidèle lecteur de Dijon 😀, je voudrais ajouter un petit commentaire qui m’est venu à l’esprit en lisant le billet du photographe Kichiya au sujet de cette estampe, ici. Dans son billet, Kichiya mentionne que le mont Tsukuba figure sur cette estampe orientée vers le nord-est (ce qui est normal), mais également sur une autre estampe peinte de l’autre rive de la courbe décrite par le fleuve, en direction du nord-ouest, ce qui pose problème parce que le mont Tsukuba ne peut pas s’y trouver. Il s’agit de l’estampe 35. Je vous les colle ensemble, vous allez voir…

Sur la première estampe, le mont Tsukuba se trouve là où il est réellement, au nord-est. Sur la deuxième, il n’est pas à sa place, et le peintre met des nuages tout autour pour diviser clairement son estampe en deux scènes et invente ainsi un paysage qui n’existe pas, ou, si on veut, crée une vision cinématographique avant la lettre. Certes, les nuages sont ici beaucoup plus nettement définis que ceux du billet précédent (estampe 103), j’en conviens, mais l’artifice est le même, à mon avis.

Enfin, et là ça n’a plus rien à voir avec ce qui précède, la courbure de l’arbre de l’estampe du bas, avec ses fleurs, rappelle étrangement (et agréablement) celle, inversée, de la fenêtre ronde avec sa fleur de camélia, comme si ces deux estampes de rives sœurs formaient un même cercle autour du fleuve…


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