Sur les traces de Geo Pottering ­(27)

Hiroshige à vélo : Tour de l’arrondissement de Katsushika [3] (fin)


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Tracé et points d’intérêt du parcours


Longueur du parcours : 40 km

Niveau de difficulté : Facile (terrain plat)

(Les étapes présentées dans ce billet sont en retrait dans la liste ci-dessous.)


■ Jardin botanique ( 堀切菖蒲園 (Horikiri-shōbu-en) )

▸ Parc ( 堀切水辺公園 (Horikiri-mizube-kōen) ) : 1 km

▸ Centre de détention de Tōkyō ( 東京拘置所 (Tōkyō kōchisho) ) : 5 km

▸ Parc hydrophile ( 曳舟川親水公園 (Hikifunegawa-shinsui-kōen) ) : 8 km

▸ Gare ( 亀有駅 (Kameari-eki) ) : 13 km

▸ Sanctuaire ( 亀有香取神社 (Kameari-katori-jinja) ) : 14 km

▸ Pont ( 中川橋 (Nakagawa-hashi) ) : 15 km

▸ Digesteur « planétaire » (!) ( 地球釜 (chikyūgama) ) : 16 km

▸ Pont ( 閘門橋 (Kōmon-bashi) ) : 22 km

▸ Parc ( 水元公園 (Mizumoto-kōen) ) : 26 km

▸ Temple ( 南蔵院 (Nanzō-in) ) : 27 km

▸ Prises d’eau en forme de chapeau : 32 km

▸ Transbordeur ( 矢切の渡し (Yagiri-no-watashi) ) : 33 km

▸ Temple ( 柴又帝釈天 (Shibamata Taishakuten) ) : 34 km

▸ Gare ( 柴又駅 (Shibamata-eki) ) : 35 km

▸ Sanctuaire ( 清瀧神社 (Seiryū-jinja) ) : 36 km

▸ Sanctuaire ( 立石熊野神社 (Tateishi-Kumano-jinja) ) : 39 km

▸ Pierre ( 立石様 (Tateishi-sama) ) : 39 km

■ Gare ( 立石駅 (Tateishi-eki) ) : 40 km


À la fin du dernier billet, nous étions arrivés au sanctuaire 亀有香取神社 (Kameari-katori-jinja) . Les kanjis de « Kameari » signifient littéralement « il y a une tortue ». Ce coin de pays s’appelait autrefois 亀無 (Kamenashi) , par allusion au monticule aux allures de carapace de tortue (sans tortue : kame nashi) que formaient apparemment ces lieux surélevés entourés de basses terres humides. Cette appellation remonterait au moins à 1398, mais fut modifiée pour Kameari vers 1644, car on craignait que la carapace vide de « Kamenashi » ne porte finalement malheur.

🚴 C’est tout près de là, aux abords de la rivière 中川 (Nakagawa) , à la hauteur du pont du même nom, que Hiroshige a immortalisé un autre paysage. À l’époque du peintre, ce pont n’existait pas encore, ni aucun autre pont d’ailleurs sur la rivière Nakagawa, afin de faciliter la protection de la ville. Pour traverser, il fallait prendre le transbordeur de Niijuku (にい宿), Niijiku étant un relais, le deuxième, sur la route Mito-kaidō (水戸街道).

Sur la photo, les membres de Geo Pottering se tiennent sur la rive gauche de la rivière, du côté de Kameari, près du pont Nakagawa. Sur la rive droite se trouvait Niijiku, d’où la route Mito-kaidō se poursuivait vers Mito, et où commençait l’embranchement Sakura-kaidō (佐倉街道). À partir d’une carte de la capitale qui remonte à 1830, disponible dans les archives de la Bibliothèque nationale, j’ai découpé les environs immédiats pour mieux nous situer. (Ne cherchez pas un vélo plus serviable que moi, vous ne trouverez pas. ^_^ )

Source : modifié à partir de 仲田, 惟善 ほか『東都近郊図』,刊,文政13. 国立国会図書館デジタルコレクション

À gauche de la rivière Nakagawa, Kameari est encerclé en bleu, tout comme le relais de Niijuku de l’autre côté de la rivière. Entre les deux, on peut lire 新宿 (Niijuku) … comme pour tous les autres noms inscrits dans les cours d’eau sur cette carte, il s’agit du nom du transbordeur. Sur la carte, les noms des villages sont encerclés et les noms des relais encadrés. Les points noirs le long des routes indiquent des bornes 一里塚 (ichizuka) , distantes d’un (ri) , soit environ 4 kilomètres. Je m’écarte du sujet, mais souvent on plantait un pin ou un micocoulier à l’emplacement de la borne, pour qu’elle soit visible de loin et pour faire de l’ombre aux voyageurs qui s’y reposaient un moment. La flèche rouge de gauche indique le bout de canal que nous avons emprunté dans le billet précédent, avec, à la hauteur de Kameari, le pont qui traverse ce canal (la rivière Hikifunegawa) et que nous pouvions voir tout en haut sur l’estampe du billet précédent.

Avec cette carte en tête, nous pouvons maintenant passer à notre nouvelle estampe, qui présente la vue intitulée « Le transbordeur de Niijiku » (にい宿のわたし).

*Le transbordeur de Niijiku, février 1857 (estampe 93 sur Wikipédia)

En bas à droite, derrière un toit, le transbordeur. Tout près, un homme lave les sabots de son cheval dans l’eau de la rivière. Complètement à gauche, un établissement qui sert du poisson. Nous sommes aux environs de ce que Hiroshige et les habitants de la région d’Edo considéraient peut-être eux-mêmes comme sa limite nord-est, mais du point de vue administratif, précise le photographe Kichiya (喜千也) sur le site nippon.com, nous sommes en fait à l’extérieur des limites de la capitale).

Au loin, les contours de la montagne ne permettent pas de l’identifier avec certitude… Hiroshige a-t-il peint cette vue en regardant vers l’ouest ou vers l’est ? Les avis sont partagés. Henry D. Smith, pour sa part, croit pour plusieurs raisons (les habitudes du peintre, en particulier, et ses autres vues célèbres de la rivière Nakagawa) que Hiroshige se tient sur la rive gauche, donc du côté de Kameari, et que c’est le mont Nantai de Nikkō 日光の男体山 (にっこうのなんたいさん) qui se profile à l’horizon.

Dans les souvenirs d’Edo en images, Hiroshige a clairement peint les lieux depuis Kameari. Notre homme y lave toujours les sabots de son cheval dans la rivière, tandis que, de l’autre côté, on aperçoit plusieurs toits, et, au-dessus, des 料理屋 (りょうりや) (« restaurants », inscrit de droite à gauche).

Aujourd’hui, le paysage contemplé dans la même direction depuis le pont qui a remplacé le transbordeur présente un cours d’eau similaire dont la largeur est restée sensiblement la même (le texte de l’illustration ci-dessus dit 川幅凡そ一町 (かわはばおよそいっちょう) , soit environ 109 mètres). Les restaurants ont disparu, on aperçoit quelques bâtiments élevés au loin, et, qui sait, un cycliste descend peut-être parfois sur la berge pour y laver les roues de son vélo ? ^_^

🚴 De là, le trajet de la balade se poursuit vers le nord, de l’autre côté de la rivière. La route y est étroite par endroits, précise Geo Pottering en nous invitant à rouler prudemment.

🚴 Les vélos et leurs cyclistes (ou l’inverse si vous lisez ces lignes dans une perspective anthropocentrique) passent ensuite devant le parc 葛飾にいじゅくみらい公園 (Katsushika Niijuku mirai kōen) , dans une zone de développement urbain à forte densité de population.

Dans ce parc, une sphère étrange, couleur de rouille, fait sursauter les vélos. On l’a surnommé 地球釜 (ちきゅうがま) , ce four en forme de globe terrestre. Une ancienne usine à papier du groupe Mitsubishi l’utilisait autrefois en tant que digesteur pour transformer en pulpe le mauvais papier inutilisable. La version japonaise de Wikipédia précise que c’est dans ce four, immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, que les billets de banque d’avant-guerre ont été transformés en pulpe, en présence d’employés de la Banque du Japon.

🚴 Après un petit détour à la sortie du parc, la balade se poursuit vers le nord le long de la rivière Nakagawa, jusqu’à la limite de l’arrondissement de Katsushika (et, du même coup, de Tōkyō). De là, le trajet bifurque vers l’est le long de la limite administrative, sur la rive sud de la rivière Ōbagawa (大場川).

Les vélos arrivent bientôt au pont 閘門橋 (Kōmon-bashi) , un pont en briques construit en 1909. Une structure plutôt originale, dont on ne voit ici que quatre des cinq arches.

Prochaine étape, le parc 水元公園 (Mizumoto-kōen) . Nous y sommes venus récemment, en janvier 2023, et avons résumé la ballade dans le billet Sur les traces de Geo Pottering ­(2).

Les iris du très grand parc Mizumoto-kōen

🚴 Après ce parc, le parcours passe par le temple 南蔵院 (Nanzō-in) , où l’on peut contempler (ou plutôt ne pas contempler) un jizō ficelé ( しばられ地蔵 (shibarare-jizō) ). Le principe est simple et facile à retenir : on enroule de la corde autour de la statue au moment de faire un vœu, puis la retire lorsque ledit vœu est exaucé.

Les vélos se dirigent ensuite vers le fleuve Edo, pour poursuivre le tour de l’arrondissement en revenant vers le sud par sa limite orientale.

La prise d’eau à chapeau pointu, sur le bord du fleuve Edo

🚴 Le groupe passe alors devant les prises d’eau. Elles formaient autrefois un trio, mais aujourd’hui il ne reste que la deuxième (à chapeau pointu, achevée en 1941) et la troisième (à chapeau melon, achevée en 1964).

Un peu plus au sud, le groupe aperçoit un transbordeur, celui-ci bien réel, mais évidemment touristique. Le seul, semble-t-il, encore en activité de nos jours dans la capitale, il se nomme 矢切の渡し (Yagiri-no-watashi) (Yagiri vient du nom de trois anciens villages aujourd’hui intégrés à la ville de Matsudo, du côté est du fleuve, donc dans la préfecture de Chiba).

À l’époque Edo, il appartenait à la catégorie des « transbordeurs paysans » ( 農民渡船 (のうみんわたしぶね) ). Contrairement aux transbordeurs des grandes routes, sévèrement contrôlés par le gouvernement militaire des Tokugawa, ces transbordeurs ne faisaient pas l’objet d’une étroite surveillance. Les paysans y avaient recours soit pour se rendre à un temple ou à un sanctuaire, soit pour aller cultiver leurs terres de l’autre côté du cours d’eau. L’Association touristique de la ville de Matsudo, où se trouve le débarcadère de la rive est du transbordeur en question, ajoute que les voyageurs qui avaient des raisons de craindre un contrôle dans un transbordeur routier (appelons-le comme ça), pouvaient se déguiser en paysan pour traverser plus discrètement sur un de ces petits transbordeurs paysans.

🚴 Tout près de là, le trajet de la balade passe par le temple Taishakuten de Shibamata (柴又帝釈天).

Oui, c’est bien le temple de la fameuse série de films C’est dur d’être un homme. Parmi les talismans, porte-bonheurs et autres charmes que vend ce temple, figure l’ichiryōfu (一粒符), un talisman qui ne se porte pas… mais s’avale. Il contient quelques granules que, dit-on, les gens trop pauvres pour consulter un médecin prenaient à l’époque Edo, pour se protéger et guérir lorsqu’une maladie contagieuse frappait la région.

🚴 En passant par la gare 柴又駅 (Shibamata-eki) , le trajet se dirige de nouveau vers la rivière Nakagawa, près de laquelle se trouvent le sanctuaire 清瀧神社 (Seiryū-jinja) et son étang, le Kenashi-ike (怪無池).

De cet étang, la légende dit qu’il a été formé par le débordement de la rivière Nakagawa, et qu’un gros serpent blanc y habite. Elle dit aussi que des villageois, alors qu’une sécheresse sévissait dans le coin, sont venus un jour y prier pour que la pluie tombe… ce qu’elle fit immédiatement. D’où l’érection, en ces lieux, d’un sanctuaire pour y vénérer la divinité shintō de la pluie, Ameno Mikumari no Kami (天水分神), la « divinité qui distribue la pluie ».

🚴 De là, le trajet emprunte bientôt, et pour un court moment seulement, la rivière Shin-Nakagawa (新中川), qui se jette dans l’ancien fleuve Edo ( 旧江戸川 (きゅうえどがわ) ) huit kilomètres plus au sud. Le trajet, lui, la quitte pour aller serpenter vers le sud-ouest le long de la rivière Nakagawa. Ceci mène le groupe au sanctuaire 立石熊野神社 (Tateishi-Kumano-jinja) .

Le tour Skytree, vue de la rivière Shin-Nakagawa

Le sanctuaire Tateishi-Kumano

Andore, qui habitait autrefois dans le coin, amène ensuite le groupe dans un petit parc pour enfants où se trouve, dit-il, Tateishi-sama (立石様). Les y attendent un petit torii et, entourée d’une clôture, une… pierre.

Le torii, Andore et, à ses pieds… la pierre

La pierre !

C’est de cette petite pierre banale qui prête à sourire, sinon à rire, que viendrait le nom du quartier. Toute modeste qu’elle puisse paraître, son origine remonterait à la période Kofun, entre le troisième et le sixième siècle. À cette époque caractérisée par ses tertres funéraires (kofun), elle aurait été autrefois transportée jusqu’ici depuis le mont Nokogiri pour contribuer à la construction de la « chambre de pierre » (石室) d’un tertre. À partir de la période Nara (710-794), cette pierre mémorable aurait servi de « signalisation routière » ( 道しるべ (みちしるべ) ) à un embranchement de l’ancienne route du Tōkaidō. Plantées dans le sol, les pierres ainsi utilisées étaient appelées 立石 (たていし) (pierres debout ou érigées). On dit de cette pierre qu’elle dépassait autrefois du sol d’une bonne soixantaine de centimètres et qu’elle s’y enfonçait profondément. Aujourd’hui, bien qu’elle ne dépasse plus que de quelques centimètres, elle peut encore se targuer d’avoir légué son nom (Tateishi) au quartier et à sa gare.

Tout près de la gare, la balade se termine à la rue marchande 立石仲見世 (Tateishi-Nakamise) . Normalement, « Nakamise » désigne plutôt une rue marchande située dans l’enceinte d’un temple ou d’un sanctuaire, comme celle, célèbre, du Sensōji à Asakusa, mais quoi qu’il en soit celle de Tateishi, avec son atmosphère rétro et ses 120 mètres d’arcades construites en 1960, offrait ce jour-là au groupe l’occasion ou le prétexte idéal d’aller finir cette balade sur une note agréable devant quelques verres de saké.

L’entrée de la rue marchande

Le comptoir d’un traiteur spécialisé dans les yakitori

Le comptoir d’un marchand d’oden, ou pot-au-feu japonais


Le mot du compagnon bipède

Ce billet termine la cinquième balade à travers les Cent vues célèbres du peintre Hiroshige. Je sais que Béni a l’intention de présenter toutes les estampes des Cent vues, mais j’ignore s’il va le faire d’une seule traite ou intercaler de temps à autre une balade plus récente entre deux billets consacrés à Hiroshige. Je le soupçonne même fortement de l’ignorer lui-même, un peu comme quand nous décidons ensemble, moi sur un coup de tête, lui sur un coup de guidon, de quitter le tracé GPS du téléphone portable pour mettre des bâtons dans les roues à l’itinéraire prévu.

Samedi dernier, nous sommes allés rouler avec Geo Pottering dans la préfecture de Saitama. Cinq heures de train en tout, pour se taper l’aller-retour, mais ça valait le déplacement. Qui sait, Béni en fera peut-être le compte rendu lorsque la version japonaise sera disponible sur le site. D’ici là, nous vous laissons sur cette photo encore toute chaude…


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