Sur les traces de Geo Pottering ­(23)

Les Cent vues d’Edo de Hiroshige à vélo : Rendez-vous aux parcs Inokashira et Nogawa [2] (Balade du 30 mai 2020, deuxième partie)


Liens : Compte rendu en japonais / Fichier gpx en français / Google Map / Garmin Connect / Ride With GPS


Tracé et points d’intérêt du parcours


Longueur du parcours : 65 km

Niveau de difficulté : Facile (terrain plat)

(Les étapes franchies dans ce billet sont en retrait dans la liste ci-dessous.)

■ Harimazaka

▸ Parc Edogawa : 2 km

▸ Auditorium Ōkuma de l’Université Waseda : 3 km

▸ Pont Suehiro : 7 km

▸ Parc Sanshi-no-mori : 11 km

▸ Parc Inokashira : 20 km

▸ Parc Nogawa : 29 km

▸ Temple Jindaiji : 33 km

▸ Sanctuaire Fudaten : 35 km

▸ KEIO Floral Garden ANGE : 37 km

▸ Parc Sanshi-no-mori : 55 km

■ Harimazaka : 65 km


🚴 Dans le dernier billet, nous nous sommes quittés devant l’ermitage de Bashō, près du sanctuaire Suijinja. Entre l’ermitage et le sanctuaire, une pente étroite et abrupte, nommée Munatsukizaka ( 胸突坂 (むなつきざか) ), mène au pont Komatsuka ( 駒塚橋 (こまつかばし) ). Hiroshige a dessiné un autre paysage des Cent vues un peu plus en amont, mais sur le trajet de retour de la boucle, donc nous y reviendrons à la toute fin.

Pour l’instant, le tracé s’éloigne de la rivière Kanda et pénètre dans l’enceinte de l’Université Waseda, dans l’arrondissement de Shinjuku ( 新宿区 (しんじゅくく) ).

L’Auditorium Ōkuma, symbole de l’Université Waseda

Tout près de là se trouve le parc Toyama ( 戸山公園 (とやまこうえん) ), à proximité duquel il y avait autrefois un bain public évoqué dans une célèbre chanson folk intitulée 神田川 (かんだがわ) … la rivière Kanda que nous venons tout juste de quitter. Les cyclistes de la génération des fondateurs du club Geo Pottering se souviennent bien de ce hit de 1973 du groupe Kaguyahime (かぐや姫), ledit microsillon s’étant vendu à 1,6 million d’exemplaires.

Le parc Toyama

L’étape suivante de la balade est celle du pont Suehiro ( 末広橋 (すえひろばし) ), à l’intersection de la rue Ōkubo ( 大久保通り (おおくぼどおり) ) et de la rivière Kanda. Dans le mini-parc (ポケットパーク) du côté ouest de ce pont, se trouve une pierre monumentale où sont gravées les paroles de la fameuse chanson folk Kandagawa (神田川) .

De là, et jusqu’au parc Inokashira où elle prend sa source, la rivière Kanda est bordée de promenades 遊歩道 (ゆうほどう) accessibles aux vélos. Sider aurait donc pu poursuivre sa route jusqu’au parc Inokashira en empruntant ses promenades, mais il s’est ravisé et a rebroussé chemin puisqu’il devait faire un détour par le premier lieu de rendez-vous : le parc Sanshi-no-mori (蚕糸の森公園).

Une promenade de la rivière Kanda, près du pont Suehiro

Le tracé de la balade évite toutefois la jolie promenade Momozonogawa-ryokudō (桃園川緑道, « sentier vert de la rivière Momozono ») et passe plutôt par une rue parallèle, car les bornes installées aux intersections de cette promenade y rendent la circulation difficile pour les vélos.

La promenade Momozonogawa-ryokudō

Juste avant d’arriver au lieu de rendez-vous, l’itinéraire passe par l’étroite rue marchande Higashikōenji ( 東高円寺商店街 (ひがしこうえんじしょうてんがい) ).

Mājiko et Mukaeru attendaient Sider à l’entrée du parc Sanshi-no-mori

Ce « parc de la forêt séricicole » a été aménagé sur les lieux d’un ancien site d’expérimentation séricicole du gouvernement, en service de 1911 à 1980. Depuis, l’ancien poste de garde y a été converti en bureau administratif.

Après une brève pause dans ce parc, les trois vélos et leurs compagnons bipèdes se dirigent vers le parc Inokashira. Ce faisant, ils roulent dans l’espace vert de la rivière Zenpukuji ( 善福寺川緑地 (ぜんぷくじがわりょくち) ).

Le tracé passe ensuite devant le Rikkyōjogakuin (立教女学院), une école secondaire affiliée à l’Université Rikkyō.

En pénétrant dans le parc Inokashira, la rivière Kanda se débarrasse enfin du corset de béton qui l’emprisonnait jusque-là…

Dans le parc, les vélos sont autorisés à circuler.

Ils arrivent bientôt à l’extrémité ouest de l’étang d’Inokashira ( 井の頭池 (いのかしらいけ) ), dont la photo ne montre ici qu’une partie.

Vue de l’étang depuis son extrémité nord-ouest. Au loin, le « pont des sept puits » ( 七井橋 (なないばし) ). À l’extrémité sud-ouest sur la carte, le sanctuaire.

C’est dans cet étang que la rivière Kanda prenait sa source en tant qu’aqueduc Kanda ( 神田上水 (かんだじょうすい) ) à l’époque Edo. L’aménagement de ce premier canal d’eau potable de la capitale fut ordonné par Tokugawa Ieyasu (1543-1616). Dans une de ces œuvres, le peintre Hasegawa Settan présente une vue d’ensemble de l’étang (ou plutôt du marais, à l’époque) et du sanctuaire Benzaiten.

井頭池弁財天社 (いのかしらいけべんざいてんしゃ) , par Hasegawa Settan, 1836, tiré du recueil 江戸名所図絵 (えどめいしょずえ)

Il y avait sept sources d’eau à cet endroit, dont l’une appelée Ochanomizu (御茶ノ水), parce que, selon cet ancien recueil, Tokugawa Ieyasu y aurait effectivement puisé l’eau pour son thé.

L’eau de la source, tout au fond, entourée d’un carré de pierres. Moins abondante qu’autrefois, elle doit être pompée jusqu’à la surface…

En raison de ses sept sources, l’endroit était également appelé le « marais aux sept puits » ( 七井の池 (なないのいけ) ). Le troisième shōgun, Tokugawa Iemitsu (1604-1651), appréciait beaucoup l’eau de ces lieux où il allait chasser. Il appela l’endroit 井頭, en gravant ces caractères sur un arbre kobushi, selon MIYAO Shigeo (宮尾 しげを, aujourd’hui décédé), dans son livre dédié aux Cent vues (en japonais). [井頭], donc, parce que les eaux du marais se trouvaient à la « tête » (source) de l’aqueduc Kanda, d’où le nom actuel de l’étang : 井の頭池 (いのかしらいけ) .

Les vélos amènent ensuite les joyeux cyclistes devant le sanctuaire, tel que vu du nord.

Le sanctuaire vu du nord

Ce qui, du même coup, nous amène enfin à présenter la deuxième estampe d’Hiroshige pour cette balade. Elle s’intitule 井の頭の池弁天の社 (いのかしらのいけべんてんのやしろ) , que Wikipédia traduit par « Le sanctuaire de Benten à l’étang d’Inokashira no ike ».

Le sanctuaire de Benten à l’étang d’Inokashira, avril 1856 (estampe 87 sur Wikipédia)

La présence du sanctuaire Benten sur cette langue de terre du marais remonte à l’ époque Heian (平安時代) , mais le bâtiment de l’estampe est celui restauré sous les ordres de Tokugawa Ieyasu, à l’époque Edo. Il a ensuite été reconstruit au XXe siècle, après le dévastateur tremblement de terre de 1923.

Dans ses comptes rendus, l’auteur de Geo Pottering fait très souvent référence au spécialiste Henry D. Smith, lui-même auteur d’un superbe ouvrage sur les Cent vues célèbres d’Edo (publié en anglais sous le titre « Hiroshige, One Hundred Famous Views of Edo » et en japonais sous le titre 広重 名所江戸百景 (ひろしげ めいしょえどひゃっけい) ).

À propos de la présente estampe, Smith explique que cette vue idéalisée du paysage combine probablement deux angles de vue : le premier est celui de la vue sur l’étang depuis le nord-ouest, et le deuxième celui des montagnes et du sanctuaire tels qu’aperçus depuis une autre direction. Direction vague, parce que les montagnes aux contours imprécis ne seraient pas spécifiques, mais plutôt symboliques, dans cette vue idéalisée des lieux.

Mājiko sur le pont en dos d’âne ( 太鼓橋 (たいこばし) ) de l’estampe

Henry Smith souligne dans son ouvrage que, de la série des Cent vues célèbres, cette estampe est la seule dont la composition aborde le sujet de pleine face ( 真正面 (まっしょうめん) ). Hiroshige avait déjà fait la même chose pour ce sanctuaire dans une série précédente, intitulée « Neige, lune et fleurs des lieux célèbres » ( 名所雪月花 (めいしょせつげつか) ).

井の頭の池弁財天の社雪の景 (いのかしらのいけべんざいてんのやしろ) Paysage de neige du sanctuaire Benzaiten au marais d’Inokashira (vers 1843-47, ma traduction)

On retrouve encore ces lieux, en plongée et sous un autre angle, dans les Souvenirs d’Edo en images ( 絵本江戸土産 (えほんえどみやげ) ).

C’est sans doute en s’inspirant de ses propres œuvres précédentes que Hiroshige, dans l’estampe des Cent vues d’Edo, a créé en 1856 le paysage idéalisé qui combine deux angles de vue d’une même scène.

Si vous êtes comme moi, vous avez sans doute la mauvaise habitude de vous imaginer dans la peau du peintre quand vous regardez les estampes. Bref, d’adopter sa perspective. Mais Hiroshige, à l’époque des Cent vues d’Edo, n’avait pas nécessairement à se rendre sur les lieux des Cent vues pour les peindre. Il pouvait fort bien s’inspirer de ses propres œuvres, les utiliser pour ainsi dire comme modèles, et ne se gênait d’ailleurs pas pour le faire. C’est notamment le cas avec les Souvenirs d’Edo en images (絵本江戸土産).

Henry Smith, dans un article sur la « vision cinématique » d’Hiroshige, écrit ce qui suit à ce propos, et en particulier à propos des modèles tirés des Souvenirs d’Edo en images :

Most of these models were […] conventional topographical views from a high angle, the majority of which Hiroshige followed with only minor adaptations to the vertical format (for which the separately framed pages of a two-page spread often provided a compositional basis).

Ce commentaire, parenthèse comprise, semble s’appliquer parfaitement à cette estampe des Cent vues célèbres d’Edo. Sur la page de gauche du dessin horizontal des Souvenirs d’Edo en images, on reconnaît très bien la vue du sanctuaire vers les montagnes, mais l’angle que forme le pont par rapport au sanctuaire, lui, ne correspond pas à celui du dessin des Cent vues. Les pages gauche et droite des Souvenirs semblent combinées et réagencées sur les Cent vues, Hiroshige manipulant librement l’espace pour obtenir une vue idéale.

🚴 À suivre…


Vous pouvez laisser un commentaire anonyme en cliquant simplement sur « Post »