Sur les traces de Geo Pottering ­(22)

Les Cent vues d’Edo de Hiroshige à vélo : Rendez-vous aux parcs Inokashira et Nogawa [1] (Balade du 30 mai 2020)

De gauche à droite : Shinchenzō, Mājiko, Mukaeru et Makorin


Liens : Compte rendu en japonais / Fichier gpx en français / Google Map / Garmin Connect / Ride With GPS


Tracé et points d’intérêt du parcours


Longueur du parcours : 65 km

Niveau de difficulté : Facile (terrain plat)

(Les étapes franchies dans ce billet sont en retrait dans la liste ci-dessous.)

■ Harimazaka

▸ Parc Edogawa : 2 km

▸ Auditorium Ōkuma de l’Université Waseda : 3 km

▸ Pont Suehiro : 7 km

▸ Parc Sanshi-no-mori : 11 km

▸ Parc Inokashira : 20 km

▸ Parc Nogawa : 29 km

▸ Temple Jindaiji : 33 km

▸ Sanctuaire Fudaten : 35 km

▸ KEIO Floral Garden ANGE : 37 km

▸ Parc Sanshi-no-mori : 55 km

■ Harimazaka : 65 km


🚴 Cette balade du 30 mai 2020 diffère légèrement des autres excursions à vélo présentées jusqu’ici, en ceci qu’elle ne commence pas et ne se termine pas devant une gare. Après la dernière balade présentée ici (celle du 11 février 2020), le club Geo Pottering a fait deux autres excursions, le 23 février et le 7 mars, avant de se trouver immobilisé par la consigne d’abstention ou de retenue ( 自粛 (じしゅく) ) annoncée par le gouvernement pour empêcher la propagation de la COVID-19. Bref, il fallait éviter les déplacements inutiles et non urgents. Puis, en cette fin de mai, le groupe a enfin pu reprendre graduellement ses activités.

Ce parcours trace une boucle à partir du siège de Geo Pottering, dans le quartier Koishikawa, arrondissement de Bunkyō (文京区小石川) à Tōkyō. C’est de là qu’est parti Sider, en route vers les points de rendez-vous avec les autres membres, dans deux parcs de la capitale.

Le tracé GPS passe d’abord par l’allée des cerisiers de Harimazaka ( 播磨坂の桜並木 (はりまざかのさくらなみき) ). Comme nous sommes à la fin du mois de mai, la floraison est depuis longtemps terminée, mais les feuilles des arbres n’en resplendissent pas moins d’un vert profond qui annonce la venue imminente de l’été.

Le trajet descend ensuite de ce plateau, en direction du pont Edogawa. Curieusement, c’est la rivière Kanda et non le fleuve Edo qui coule sous ce pont. Cette intrigue trouve sa réponse un peu plus loin dans le compte rendu japonais de la balade… nous y reviendrons.

Le parc Edogawa / 江戸川公園 (えどがわこうえん)

À ce point d’arrivée du tracé GPS à la rivière Kanda ( 神田川 (かんだがわ) ), le parc Edogawa se trouve immédiatement en amont, sur la rive nord. Pour y circuler, les bipèdes doivent descendre de leurs vélos.

Au bout de 300 ou 400 mètres, se trouve une réplique d’une ancienne prise ou arrivée d’eau potable ( 上水取水口 (じょうすいしゅすいこう) ) de la rivière, réplique construite avec des pierres de ce qui était autrefois le barrage Sekiguchi-Ōarai ( 関口大洗堰 (せきぐちおおあらいぜき) ).

Ce barrage figure sur une estampe de la série des Quarante-huit vues célèbres de Tōkyō, du peintre Shōsai Ikkei (昇斎一景), élève de Hiroshige III. Ladite estampe est intitulée « Temple Mejiro Fudō, Sekiguchi » (関口目しろ不動).

Temple Mejiro Fudō, Sekiguchi , 1871

Faisons ici une petite parenthèse…


Vous aurez peut-être remarqué que j’ai mis 目しろ不動 en japonais et MeJIro Fudō en français… je sais, ça semble maladroit, ce « shi » d’un côté et ce « ji » de l’autre. ^_^ Ce n’est toutefois pas une bourde. La chose m’a intrigué et je suis allé voir sur le Wikipédia japonais. Ça m’a mené aux « cinq éléments » de la cosmologie chinoise (wuxing, 五行思想 (ごぎょうしそう) en japonais).

Source : Ju gatsu mikka Derivative work, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)

Ça pourrait faire une histoire longue, mais nous allons la faire courte… Il y a ce qu’on appelle, à Tōkyō, les six temples Fudō nommés selon les cinq couleurs associées aux éléments cosmologiques.

  • Noir : 目黒不動 (le 瀧泉寺 (りゅうせんじ) )
  • Blanc : 目白不動 (le 金乗院 (こんじょういん) )
  • Rouge : 目赤不動 (le 南谷寺 (なんこくじ) )
  • Bleu ou vert : 目青不動 (le 最勝寺 (さいしょうじ) )
  • Jaune : 目黄不動 (le 永久寺 (えいきゅうじ) ) et le 最勝寺 (さいしょうじ) )

Le blanc (Mejiro Fudō) se trouve aujourd’hui dans l’arrondissement de Toshima (豊島区), mais autrefois il était aux environs du parc où nous venons de voir la réplique de la prise d’eau, dans le quartier qui a gardé le nom (Sekiguchi) du barrage de l’estampe de Shōsai Ikkei.

Le blanc et le noir ont également donné leurs noms respectifs à des gares de la ligne Yamanote (山手線) : 目黒駅 (めぐろえき) et 目白駅 (めじろえき) .


Revenons à l’estampe…

On aperçoit le temple dans le coin supérieur droit, et, sur la gauche, le beau barrage d’où proviendraient les pierres de la réplique aménagée dans le parc. En aval du barrage la rivière était appelée 江戸川 (Edogawa) (il s’agissait de la rivière Edo, et non de l’actuel fleuve Edo). C’est de là que vient, historiquement, le nom de l’intriguant pont Edogawa qui surplombe aujourd’hui la rivière… Kanda.

Ce même barrage figure également sur une illustration de 1836.

Le même barrage, illustration tirée de l’ouvrage Edo Meisho Zue, volume 4.

Le tracé GPS passe par l’actuel pont Ōtaki ( 大滝橋 (おおたきばし) ), à peu près là où se trouvait le barrage autrefois.

En haut à droite de la photo, à la place du temple de l’estampe, trône l’hôtel de luxe Chinzansō (椿山荘)… Les caractères de « chinzan » (椿山) peuvent aussi se lire « tsubakiyama », comme dans la première estampe d’Hiroshige de cette balade, estampe que voici :

L’ermitage de Bashō et la colline aux camélias près de l’aqueduc à Sekiguchi, avril 1857 (estampe 40 sur Wikipédia)

En avril 1857, donc, Hiroshige a peint une de ses Cent vues célèbres d’Edo juste un peu en amont du barrage. Elle est intitulée «  せき口上水端はせを庵椿やま (せきぐちじょうすいばたばしょうあんつばきやま)  », titre que la page française de Wikipédia traduit par « L’ermitage de Bashō et la colline aux camélias près de l’aqueduc à Sekiguchi ».

Ce « à Sekiguchi » mérite un petit commentaire, parce que Sekiguchi, à l’époque de l’estampe, ne désignait peut-être pas un lieu comme le fait aujourd’hui l’actuel nom du quartier (関口), mais plutôt l’emplacement du barrage Sekiguchi-Ōarai, ce sekiguchi-ci s’écrivant plutôt 堰口 : l’endroit où tombe l’eau du barrage de retenue.

À ce sujet, le site nippon.com précise que les opinions sont partagées en ce qui concerne l’origine de cette appellation. D’une part, il y a ceux qui jugent que le quartier actuel tire son nom (関口) du fait qu’il y avait autrefois une barrière ( 関所 (せきしょ) ) , c’est-à-dire un poste de contrôle, dans ce coin-là. D’autre part, il y a ceux qui, comme Hiroshige lui-même l’écrivit à l’époque dans un des recueils d’illustrations intitulés 絵本江戸土産 (えほんえどみやげ) (Souvenirs d’Edo en images), croient que la bonne graphie aurait dû être celle du barrage (堰口) plutôt que celle de la barrière. Le site nippon.com en conclut que c’est peut-être d’ailleurs pour cette raison que Hiroshige a sciemment intitulé l’estampe せき口上水端はせを庵椿やま…

Le titre de cette estampe n’est pas facile à comprendre, même pour les Japonais. Décortiquons-le en suivant les explications de l’auteur du site Geo Pottering, Sider.

  • せき口 : le barrage Sekiguchi-Ōarai
  • 上水端 : bord de l’aqueduc de [la rivière] Kanda (神田上水)
  • はせを : ancienne graphie du nom du célèbre poète Bashō (芭蕉)
  • 庵椿やま : colline aux camélias

On obtient ainsi quelque chose comme la rive de l’aqueduc de Kanda près du barrage Sekiguchi-Ōarai, Bashō et la colline aux camélias.

La colline, sur la droite, n’a pas de camélias sur l’estampe, mais plutôt des cerisiers en fleurs (plus ou moins roses, à gauche de l’ermitage). Mais elle était effectivement célèbre autrefois pour les camélias qui, dit-on, y poussaient naturellement. La cabane à toit de chaume, sur la colline, portait initialement le nom de Ryūge-an (竜隠庵) avant d’être rebaptisée « ermitage de Bashō » ( 芭蕉庵 (ばしょうあん) ) en l’honneur du célèbre poète qui avait habité tout près de là provisoirement, dans les années 1670.

Il faut savoir que Bashō, tout poète qu’il soit, s’est retrouvé responsable de la réparation des ouvrages hydrauliques à cet endroit, et que, pour exercer cette fonction, il a résidé pendant deux ou trois ans à proximité du lieu des travaux. D’où la présence du nom de ce célèbre poète dans le titre de l’estampe.

Cette vue célèbre d’Edo, Hiroshige l’a capturée aux environs du pont Komatsuka ( 駒塚橋 (こまつかばし) ), en regardant vers l’amont. Le champ qui se trouve du côté gauche de l’estampe est aujourd’hui occupé par l’Université Waseda.

Cette même scène, Hiroshige l’a également immortalisée d’un peu plus loin, toujours en 1857, dans les « Souvenirs d’Edo en images ».

関口上水端芭蕉庵椿山 : Le bord de l’aqueduc de Sekiguchi, l’ermitage de Bashō et la colline aux camélias (ma traduction)

Fait amusant, cette fois-ci Hiroshige a écrit 関口, pas せき口. ^_^

Aujourd’hui, vu depuis le pont, le paysage a l’air de ceci.

La courbe de la rivière semble avoir bien résisté au passage du temps…

Les eaux de la rivière étaient, et sont encore aujourd’hui, protégées depuis le plateau de la colline par le sanctuaire Suijinja (水神社), dédié à la divinité de l’eau.

À l’est de ce sanctuaire, l’ermitage de Bashō a été reconstruit.

Sur la photo, complètement à droite, on aperçoit une grosse feuille de bananier. La chose vaut la peine d’être mentionnée, puisque le nom de plume du poète signifie bananier (バショウ) , par allusion à « l’ermitage au bananier » où s’est retiré le poète en 1680, sur la rive de la rivière Sumida, et où un de ses disciples lui ayant offert un bananier, le poète, né Kinsaku Matsuo, adopta ledit bananier comme pseudonyme.

🚴 À suivre…


Vous pouvez laisser un commentaire anonyme en cliquant simplement sur « Post »