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投稿 とうこう (envoi d’un) texte pour publication

On peut se lancer dans l’écriture, comme on peut se lancer dans l’édition. Il y a aussi le lancement de livres, à la rentrée littéraire. Or, en japonais, on retrouve également cette idée de « lancement » dans le terme 投稿, dont les caractères expriment respectivement l’idée du lancer (投…げる) et celle du document (原稿).

Digression : Notez qu’au Japon, si, du point de vue de la langue, on ne se « lance » pas en politique, on lance bel et bien son vote lors des élections, comme ceci : 投票 (tōhyō).

Mais revenons à notre 投稿. Il semblerait que dans le jargon de l’édition japonaise, on utilise le terme 投稿 pour parler des documents sollicités par l’éditeur, par opposition à ceux qu’il reçoit sans les avoir demandés, appelés 持ち込み (mochikomi), c’est-à-dire des textes apportés avec soi, comme le vin qu’on apporte au resto (pratique courante au Québec).

Ce 持ち込み a de quoi surprendre, parce que le bon gros sens commun nous dit que la grande majorité des gens qui rêvent d’être publiés ne se pointent pas chez l’éditeur avec leur texte sous le bras, mais l’envoient plutôt par la poste.

Ce texte, qu’il soit apporté sous le bras ou livré par la poste, et peu importe qu’il soit rédigé en caractères minuscules ou gigantesques, ou imprimé en format A4, B5, C1 et autres variantes alphanumériques ISO, est perçu par l’éditeur comme étant composé de feuilles de papier à écrire (原稿用紙 genkō yōshi) que les enfants d’école primaire et tous les étrangers qui étudient le japonais connaissent bien.

Pour le commun des mortels, ladite feuille quadrillée ne compte que 400 cases, pour que l’élève ait suffisamment d’espace pour bien écrire (dessiner) ses kanjis. Mais pour l’éditeur, qui paye l’écrivain à la feuille, ce nombre peut varier de 300 à 350. Ceci s’explique par le fait que, de nos jours, personne n’écrit son texte à la main sur lesdites feuilles de papier quadrillé, d’où s’ensuit la possibilité, pour l’éditeur, de décider lui-même du nombre de caractères que compte ce qu’il appelle une feuille.

Bref, aux yeux de l’éditeur, l’écrivain japonais à qui on n’a rien demandé envoie par la poste un texte qu’il apporte avec lui, texte tapé sur clavier d’ordinateur et imprimé sur papier uni A4 que l’on considère comme du papier quadrillé de 400 cases, lequel on utilise pour convertir mentalement en feuilles, à raison de 300 à 350 caractères la feuille, quand vient le moment de rémunérer l’écrivain pour son travail en nombre de feuilles.

Dans le monde de la rémunération des traductions — puisque l’auteur de ce blog très sporadique est traducteur —, on considère généralement que 400 caractères japonais correspondent à 200 mots en anglais et à 220 mots en français. Et si l’on adopte l’imaginaire comptable de l’éditeur lorsqu’il convertit la feuille quadrillée à raison de 300 à 350 caractères la page, ceci nous donne, avec une règle de trois appliquée à 325 caractères japonais (à mi-chemin entre 300 et 350), à peu près 180 mots en français. Ce qui fait de bien petites pages…

Or, au Japon un freelance qui écrit (pas nécessairement un écrivain… dommage que le mot « écriteur » soit désuet en français, il aurait bien fait l’affaire ici), un freelance, donc, reçoit généralement entre 4 000 et 6 000 yens la feuille pour un texte publié dans un magazine (par exemple un épisode de roman-feuilleton (連載小説 rensai shōsetsu).

Je vais m’arrêter ici pour ce billet, mais une chose est sûre : 4 000 à 6 000 yens pour plus ou moins 325 caractères japonais, c’est pas mal du tout… Le présent billet, qui n’a rien de la Muraille de Chine en termes de longueur, avoisine les 750 mots en français. Ceci nous donne environ quatre pages de 180 mots, et, à 5 000 yens la page, multiplié par, euh… 4 pages disais-je, j’en conclus qu’un éditeur imaginaire me payerait, mutatis mutandis, 20 000 yens pour ce billet de Niponika Bulogula, sans que je n’aie eu à me creuser la tête pour traduire du japonais au français, me contentant d’écrire comme je pense, et sans perdre de temps à chercher la traduction officielle de termes techniques dans les dictionnaires spécialisés… Reste à voir, toutefois, si ce que j’ai écrit ici vaut bien ces 20 000 yens que de toute façon je n’aurai pas…


Ce billet est principalement basé sur le livre 作家の収支 (publié en 2015, par l’écriteur Hiroshi Mori) pour sa dimension factuelle, et sur mon imagination de qualité très fluctuante quant à sa présentation et à ses extrapolations linguistiques et mathématiques (si j’ose dire).