Shintonegawa — 新利根川

Le matin du 9 avril, la météo du coin nous poussait à aller vers l’est, pour que le vent nous pousse lui aussi dans cette direction.

Béni-le-rouge n’avait pas envie d’aller rouler encore une fois sur la piste cyclable du fleuve Tonegawa.

J’ai donc cherché une solution de remplacement sur la carte et suis tombé sur la rivière Shintonegawa (新利根川, Nouvelle Tonegawa), qui part du bourg de Tone (利根町) pour aller se jeter dans le lac Kasumigaura (霞ヶ浦), environ 33 km plus à l’est.

À 8 h  21, nous avons pris la piste cyclable du canal Tone et aussitôt bifurqué vers l’est en laissant derrière nous, au loin, les jeunes cerisiers déjà à moitié dénudés de leurs fleurs.

Un peu plus de 90 minutes plus loin, nous avons fait une courte pause sous le tunnel de cerisiers Tonegawa Sakura Zutsumi (利根川桜づつみ), du bourg de Tone, tunnel formé de deux rangées d’arbres le long de la piste cyclable, sur 850 mètres. Les 182 arbres de ce tunnel végétal appartiennent à des entreprises et citoyens du coin, en vertu d’un système appelé « 桜のオーナー制度 » (littéralement : « système de propriétaires de cerisiers »), système qui permet de planter des cerisiers en faisant payer les proprios pour les travaux de plantation et d’entretien.

Ceux qui étudient la langue auront sans doute compris que le づつみ vient du verbe 包む (つつむ), et que par conséquent les cerisiers forment une « enveloppe » (桜づつみ) au-dessus des promeneurs qui s’engagent dans le tunnel.

Un peu plus loin, nous avons quitté la piste pour aller rouler le long de la Shintonegawa, où nous sommes passés devant le gros torii de bois d’un sanctuaire appelé Kōtai Jinja (皇大神社).

Pendant que j’y marchais pour aller lire les inscriptions sur les pierres anciennes (exercice toujours très difficile, mais qui rétablit la circulation sanguine dans les fesses du cycliste sous les terribles efforts déployés par le cerveau), Béni-le-rouge est allé bavarder avec la statue du Daikokuten (大黒天), divinité de la richesse.

  • Bonjour Daikoku-kun, ça va ?
  • Oui, très bien. Quel bon vent vous amène ?
  • Celui de l’ouest, qui nous pousse vers le lac Kasumigaura.
  • Ah bon ! Et vous longez la Shintonegawa ?
  • Oui !
  • C’est plutôt rare, d’habitude les vélos roulent le long du fleuve. En tout cas vous en profiterez pour saluer les autres statues de ma part, sur votre parcours.
  • Promis !

Béni-le-rouge ne savait pas dans quelle aventure il venait de se lancer avec cette promesse, comme vous allez le voir… Mais pour l’instant, revenons le long de la rivière.

Le paysage y est beaucoup plus agréable que le long du fleuve, parce qu’il y a des bâtiments des deux côtés, tout près. Par contre, il faut souvent changer de rive, quand la route pavée se transforme soudainement en chemin de terre ou s’arrête carrément.

En nous éloignant un peu de la rivière pour aller explorer un peu les environs ruraux, nous sommes tombés sur une écluse en brique. Une affiche expliquait qu’elle a été construite de 1897 à 1900… qu’est-ce que je raconte… l’affiche expliquait que cette écluse a été construite en 1900. Ces écluses en brique et ciment, qui protégeaient les zones de riziculture irriguée lors des crues causées par les typhons et autres pluies abondantes, ont ensuite cédé la place aux structures en béton. Les habitants du coin tiennent donc beaucoup à la préserver, expliquait l’affiche.

Un peu avant midi, nous avons trouvé un merveilleux coin pour casser la croûte. Des tulipes sous les cerisiers, un toit pour nous protéger des rayons du soleil, une table et des bancs, le chant des oiseaux… que demander de plus aux divinités et à la municipalité ?

Tout près de là (un ou deux rots plus loin), une pelle rétrocaveuse s’harmonisait chromatiquement avec les coloris printaniers.

À peine quelques minutes plus tard, Béni-le-rouge mettait les freins alors que nous passions devant un jardin.

  • Oh ! Tout à l’heure le Daikokuten m’a demandé de saluer les autres statues de sa part… mais j’me d’mande si ça incluait aussi ces deux-là…
  • Bah, tu peux quand même les saluer, ça leur fera sûrement plaisir !

(Ci-dessus, le monticule symbolise la montagne. En pleine rizière, on reconnaît les éléments habituels : les marches et le torii (鳥居) qui mènent au lieu sacré.)

(La floraison des cerisiers s’achève, tandis que la saison rizicole commence.)

À 12 h 56, pendant que nous faisions le plein de thé, Béni-le-rouge respectait sa promesse en saluant le batracien de la part du Daikokuten, et en profitait pour lui demander, véritable gamin, s’il pouvait prendre le suçon (la sucette pour mes lecteurs du vieux continent) abandonné par un enfant.

La créature refusa :

  • Pas question, c’est un œuf… un œurfphelin que je couve depuis des semaines en attendant l’éclosion.
  • Oups, toutes mes excuses…

À 13 h 08 précises, alors que nous croyions n’avoir roulé que les deux tiers du parcours, nous sommes arrivés à la piste cyclable du lac Kasumigaura.

À cette heure-là, le vent aurait dû avoir tourné depuis longtemps pour souffler du sud vers le nord. Mais non, il soufflait toujours, et toujours plus fort, vers l’est. Ce qui expliquait notre arrivée si rapide au lac, malgré nos petits détours.

C’est avec une moue de déception que nous avons bifurqué vers le sud, en direction de la gare JR de Sawara (佐原駅).

Très tôt, nous sommes tombés sur un paysage étrange. De vastes étendues d’eau, différentes des rizières, le long d’un petit chemin de terre.

Puis tout est devenu clair à la vue de corps flottants.

Du renkon (rhizome de lotus)… Sans doute des « laissés derrière » de la dernière récolte.

Notre promenade tirait déjà à sa fin et, un peu déçus, nous nous préparions mentalement aux deux bonnes heures de train qu’il faudrait se taper pour revenir à la maison, quand tout à coup surgirent littéralement des hordes de statues !

  • Béni, vu le nombre de statues, j’ai l’impression que tu en as pour une bonne heure… si tu veux toutes les saluer de la part du Daikokuten
  • Oui, ça risque d’être long, mais impossible de m’esquiver, regarde : ces trois-là m’envoient déjà la main…

  • Et ces trois autres m’invitent à boire et à manger…
  • Pas question! À vélo l’alcool c’est dangereux !

  • Ces deux-là me donnent la trouille, accélère !

  • Ha-ha ! Ceux-là sont vraiment rigolos !

Tiens, quatre des sept divinités du bonheur, avec un gros maneki-neko !

Et nous sommes passés comme ça devant toutes ces statues à saluer de la part du Daikokuten, une à la fois… j’en avais la gorge sèche pour le pauvre Béni.

  • Ouf ! Enfin terminé…
  • お疲れ様、紅。

Avant d’arriver à la gare, nous avons longé la rivière Yokotonegawa (横利根川), où des barques serpentantes attendaient tristement les clients.

Tout près de la gare, l’affiche du salon de coiffure INOUE — propriétaire semble-t-il amusé par quelque chose — invitait elle aussi les clients.

Et finalement, dans ce coin de pays où le train ne passe vraiment pas très souvent, nous nous attendions à une petite gare de campagne, mais c’est un gros bâtiment qui nous y attendait… et trois quarts d’heure à poiroter sur le quai en attendant le train.



Vous pouvez laisser un commentaire anonyme en cliquant simplement sur « Post »