Gare de Makuhari, deuxième partie — 幕張駅、その②

La rivière Shinkawa et sa piste cyclable débouchent sur le lac Inbanuma (印旛沼). Mes lecteurs qui ont étudié la langue japonaise s’étonneront peut-être qu’un marais puisse porter le nom de lac. C’était d’ailleurs le cas du lac Teganuma (手賀沼), présenté dans un billet précédent sur ce blog.

Sur un belvédère surplombant l’Inbanuma, Béni-le-rouge a fait une pause pour m’expliquer la chose.

Béni : En japonais, les lacs, marais et étangs, en tant qu’étendues d’eau calmes qui ne sont pas reliées directement à l’océan, s’expriment avec le terme koshō (湖沼), composé des kanjis du lac et du marais. C’est en fonction de sa taille qu’une telle étendue d’eau portera le nom de lac (mizu-umi), tandis qu’une autre, plus petite, sera appelée étang (ike) ou marais (numa). Mais dans un cas comme dans l’autre, ce sont toutes des koshō.

Niponika : Et qui décide à partir de quelle grandeur un étang ou un marais devient lac ?

Béni : Les mêmes gens qui, au fil de l’histoire, ont nommé les rivières, les fleuves, les villages, les oiseaux et tout le reste.

Niponika : Mmm… C’est quand même étonnant qu’un marais puisse devenir lac sous l’effet de la traduction…


Au lieu de nous faire faire le tour du lac, le tracé GPS emprunté à geopottering nous fait emprunter le pont, puis un chemin qui part dans la direction des champs, collines, bourgs et villages.

C’est le genre de parcours qui nous attire en ces lieux, bien davantage que la confortable monotonie des pistes cyclables. On y rencontre des sanctuaires et des temples, beaucoup de sanctuaires et de temples (tellement que le lecteur se lasserait vite si je mettais toutes les photos ici) et, parfois, des résidents qui vaquent à leurs occupations rurales, comme cette dame qui s’affaire dans sa cour adjacente au temple, près d’un petit feu de branches et d’herbes.

Ce jour-là, nous sommes tombés sur une énigme que Béni-le-rouge, grâce à sa faculté de converser avec les êtres inanimés, a résolue en s’informant poliment auprès d’un pèlerin.

Béni : Qu’est-ce que c’est, derrière vous, cette espèce de blob sur la plaque de marbre ?

Le pèlerin : C’est la carte des 88 temples du pèlerinage de Shikoku. C’est écrit, là, sur ma gauche…

Et comme de fait, en regardant à droite, Béni-le-rouge et moi constatons que notre pèlerin dit vrai, comme en témoigne cette pierre gravée en 1979 (昭和54).

Rien n’est toutefois parfait, à la campagne comme à la ville : cette affiche prévient les passantes de prendre garde aux agresseurs : 痴漢に注意!

Les chikan, ce sont en particulier ces obsédés sexuels qui tâtent les dames dans les trains bondés. Il faut croire qu’en sortant du train ils hantent aussi les rues mal éclairées à la campagne comme ailleurs.

Le tracé GPS passe parfois, chose un peu éprouvante pour les roues et l’arrière-train, mais toujours très appréciée, par d’étroits chemins cahoteux (heureusement secs ce jour-là).

Celui-ci déboucha sur une route asphaltée qui longeait quelques pierres tombales, dont l’une avait été fraîchement honorée de quelques jolies fleurs.

En poursuivant notre route, nous sommes passés le long d’un talus que l’on avait littéralement boulonné sur place, chacun de ces boulons en forme de croix étant de dimensions propres à intimider le petit Béni-le-rouge.

Le tracé nous a fait ensuite déboucher sur un quartier urbain, détour dont nous avons profité pour aller chercher quelque chose à nous mettre sous la dent dans un dépanneur. (Selon le tracé GPS, nos prédécesseurs s’étaient arrêtés dans un Steak House pour casser la croûte, mais en ces temps de pandémie nous avons jugé plus sage de trouver un coin tranquille dehors, d’autant plus que l’idée de repartir à vélo le ventre plein après avoir engouffré un steak ne nous disait rien.)

En retournant vers le tracé GPS, nous avons longé un commerce original, le MARICHI CIRCUS, mélange de salon de beauté et de… café-terrasse.

Une dizaine de minutes plus tard, les deux rondins d’un petit coin tranquille ont invité Béni-le-rouge à venir faire la pause avec eux, à l’entrée d’une petite forêt (la forêt Sōfuke 草深の森) où la ville interdit de cueillir les fleurs (植物採取禁止).

L’estomac rassasié, nous avons repris notre route sur un étroit chemin de terre où, à la hauteur d’une intersection déserte, une affiche indiquait qu’il fallait céder la priorité aux véhicules agricoles (農耕車優先).

Dans toute cette région, entre les marais Inbanuma et Teganuma, les champs sont entourés de basses clôtures électriques alimentées par de petits panneaux solaires. Ce sont, dit l’affiche, des clôtures électriques pour sangliers, à ne pas toucher.

J’en profite pour mentionner le blog d’un Français qui vit à la campagne au Japon et mange du sanglier en plus d’être auteur de bande dessinée.

Le tracé, toujours lui, nous a ensuite fait passer devant toute une tribu d’épouvantails, qui, surpris d’être interpellés (poliment) par Béni-le-rouge, se sont mis à lui parler tous en même temps, dans une épouvantable cacophonie, à laquelle je n’ai rien compris.

Une fois le silence revenu, nous avons repris notre route cahoteuse, Béni-le-rouge insistant, la larme à l’œil sous le coup de l’émotion, pour que nous repassions souvent dans le coin pour cacaphoner avec ses nouveaux amis.

Béni-le-rouge se repose un peu avant de s’élancer dans la descente finale qui nous fera quitter les collines habitées, en direction du lac Teganuma et de la maison.



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